LE QUOTIDIEN : De quoi parle-t-on exactement quand on évoque les sols ?
MARC-ANDRÉ SELOSSE : D’un point de vue topologique, le sol est ce qui se trouve entre l’atmosphère et la roche. Sur le plan de la composition, on peut dire que c’est de l’air, de l’eau, de la roche et de la matière organique : des cadavres d’animaux, de racines… C’est un mélange de tout cela, et pas seulement ! Il y a aussi une définition fonctionnelle des sols. Car cette matière organique morte est en devenir, grâce à l’action du vivant qui en libère des sels minéraux ; ces fragments sont colonisés par d’autres microbes qui les dissolvent. La fertilité libérée par ces processus permet de nourrir les plantes.
Les composants du sol créent de la vie, surtout microbienne qui, à son tour, permet aux plantes de pousser. Le sol est donc vivant et constitue une usine à fertilité pour les plantes.
Sur quoi les sols ont-ils un effet ?
Les sols sont à l’origine du monde ! J’ai d’ailleurs publié en 2021 un ouvrage sur ce sujet (1), pour redire à quel point ils sont importants, en particulier dans le contexte climatique qui est le nôtre. Les sols font le monde. Leur fertilité, emportée par les eaux fertilise les océans, ce qui explique pourquoi les eaux marines proches des continents sont les plus productives. Se dire que les sols affectent la qualité et le contenu de la pêche est puissant !
De plus, les organismes des sols émettent des gaz à effet de serre : du CO2 issu de la respiration de sols aérés, du méthane et du protoxyde d’azote dans ceux qui sont peu oxygénés… Autant de gaz qui réchauffent la planète. Le sol a donc un effet direct sur le climat. Cela dit, des sols raisonnablement aérés ne dégradent que lentement la matière organique : une solution contre l’effet de serre consiste donc à enfouir nos déchets organiques (fumier, contenu de nos poubelles bien trié). Si on connaissait mieux les sols, on pourrait lutter davantage contre l’effet de serre en en faisant de véritables alliés.
Quels sont les liens entre l’agriculture et les sols ?
Quand on a inventé l’agriculture conventionnelle, on ne connaissait pas bien les sols. On les a mis sous pesticides, arrosés d’engrais minéraux pour augmenter la productivité. Mais, aujourd’hui, on réalise qu’on a pensé cette agriculture conventionnelle sans connaître la vie et le fonctionnement du sol ! Trois principales erreurs ont été commises. Premièrement, le labour, qui permet certes de désherber mais abîme la vie des sols et décuple l’érosion. À court terme, cela fonctionne, mais à long terme, on détruit le sol. Deuxièmement, les pesticides, qui passent des sols à l’eau mais aussi aux aliments, avec les conséquences néfastes que l’on connaît. En Europe, 83 % des sols sont pollués par des pesticides. C’est colossal. Troisièmement, l’utilisation des engrais minéraux plutôt qu’organiques. C’était une bonne idée au départ, car ils apportent aux plantes ce dont elles ont besoin. Cependant, on finit par rendre les plantes sensibles aux maladies, on en met beaucoup pour que cela fonctionne. Le phosphate minier apporte du cadmium qu’on retrouve dans nos aliments (nous ingérons 1,4 la dose maximale recommandée par l’Anses). Enfin, ces engrais finissent dans la mer, faisant proliférer des algues vertes ou brunes.
Au total, s’ils n’étaient pas mauvais en soi, ces engrais le deviennent quand on les replace dans les écosystèmes et notre santé.
Quelles sont les conséquences de ces différents constats ?
Il faut revoir nos pratiques, tout en ayant en tête qu’il n’y a pas de solution miracle. En effet, si le sol se porte mieux quand il n’est pas labouré, ce n’est pas non plus idéal de l’arroser de glyphosate pour désherber ! Pour conjuguer respect des sols et agriculture durable, il n’y a pas une mais plusieurs solutions. Un message positif : de nombreuses initiatives pour protéger les sols existent, directement chez les agriculteurs, comme le montre le récent documentaire « Paysans du ciel à la terre » (lire p. 9).
Il manque l’encouragement des consommateurs, et des labels clairs ! Il faudrait aussi que l’argent public soutienne davantage l’agriculture biologique et de conservation des sols… Des choses bougent, mais pas assez vite.
Enfin, il faut rappeler que ce n’est pas l’agriculture qui détruit les sols ; c’est l’artificialisation. En 50 ans, 10 % de la surface agricole française a disparu sous la croissance des villes, c’est énorme. On a enterré des sols très fertiles, comme sur le plateau de Saclay, une des plus riches terres d’Europe ! Or, un sol urbanisé ne redevient fertile qu’en plusieurs dizaines, voire centaines d’années. Nous devons impérativement préserver les sols avec des lois efficaces pour encadrer l’artificialisation, qui les tue.
* Marc-André Selosse est microbiologiste spécialisé dans les champignons des sols, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et président de la fédération BioGée (1) Selosse MA. L’origine du monde - Une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent. Acte Sud Nature. Septembre, 2021. 25 €, 480 p.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?