Les maisons de naissance pourraient faire leur retour dans le débat politique.
Le Sénat doit examiner dans les prochaines semaines* une proposition de loi (PPL) portée par le groupe socialiste et républicain, présentée par le Dr Bernard Jomier et rapportée par l'ancienne ministre Laurence Rossignol. Objectif : pérenniser « d'ici 2025 » cette prise en charge alternative en créant un modèle juridique, organisationnel et financier robuste permettant sa généralisation.
Depuis la publication en novembre 2015 d'un décret autorisant leur expérimentation, huit maisons de naissance sont sorties de terre à Nancy (Meurthe-et-Moselle), Sélestat (Bas-Rhin), Bourgoin-Jallieu et Grenoble (Isère), Saint-Paul (La Réunion), Baie-Mahault (Guadeloupe), Castres (Tarn) et Paris. Ces structures associées à un hôpital mais dépourvues de médecins assurent de façon autonome le suivi des grossesses, de l'accouchement et de ses suites, sous la responsabilité exclusive des sages-femmes. Elles s'adressent aux parturientes sans antécédent, à la recherche d'un accompagnement global, personnalisé et d'un d'accouchement physiologique. La proximité avec la maternité partenaire permet un transfert rapide. Selon une étude Ipsos de février 2020, une femme sur cinq souhaiterait accoucher dans une maison de naissance...
Convention
La proposition de loi sénatoriale anticipe la fin de l'expérimentation prévue en novembre 2020. Les élus fondent leur revendication de généralisation sur une étude de l'INSERM (menée par une sage-femme épidémiologiste) tout au long de l'année 2018. Les 506 accouchements observés dans les huit structures présentaient « un niveau de sécurité satisfaisant », « conforme aux données de sécurité sanitaire » et « une très faible fréquence d’intervention (nécessitant des gestes médicaux) », souligne l'enquête. L'engouement est réel puisque les maisons de naissance se voient obliger de réfuser d'accompagner des parents « par manque de place ».
Fort de ce satisfecit, les sénateurs socialistes veulent graver dans le marbre les principes juridiques et organisationnels suivants : les maisons de naissance doivent conclure « obligatoirement » une convention avec un établissement de santé autorisé pour l’activité de soins de gynécologie-obstétrique ; leur gestion revient aux organismes à but non lucratif (hôpital public, ESPIC notamment) ou des collectivités territoriales ; les sages-femmes y sont libérales ou salariées ; les maisons peuvent être membres des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et « pratiquent le mécanisme du tiers payant ». Côté finances, ces structures peuvent percevoir une dotation du fonds d'intervention régional des ARS, au même titre que les centres et maisons de santé.
Les sénateurs réclament donc au gouvernement de proroger l'expérimentation des huit maisons existantes jusqu’au 31 décembre 2020, avec la remise à la même date d'un rapport exposant les perspectives de développement et une évaluation médico-économique. La proposition de loi de généralisation entrerait en vigueur dès 2021 – la loi Sécu ayant précisé auparavant les conditions de rémunération des sages-femmes.
Mauvaise foi
Le probable retour des maisons de naissance dans le débat risque de faire polémique.
Présidé par le Pr Israël Nisand, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) « ne voit aucun intérêt à ce renforcement de structures alternatives mieux dotées en personnel, appauvrissant plus encore l’ensemble des maternités sans améliorer la qualité des soins ». L'étude de l'INSERM ? « Limitée » et à la « puissance statistique basse ». Plutôt qu'une généralisation de ces maisons et « à l’heure où les fermetures de maternité par manque de moyens se succèdent à la rubrique des faits divers », le CNGOF appelle de ses vœux le développement de filières de soins physiologiques dans les établissements pour les patientes à bas risque et, pénurie médicale oblige, l'ouverture des plateaux techniques aux sages-femmes libérales.
Moins sévère mais sur la même ligne, le Dr Bertrand de Rochambeau insiste lui aussi sur le manque chronique de moyens dans les établissements. « Nous ne pouvons pas soutenir le développement des maisons de naissance même si les sages-femmes ont montré qu'elles y faisaient bien leur travail, analyse le président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens (SYNGOF). Si l'État veut faire un effort financier pour la sécurité des femmes enceintes, il doit le faire en pédiatres, sages-femmes et médecins dans les maternités et non dans des structures epsilonesques. »
Lui-même médecin généraliste, le sénateur Bernard Jomier regrette la résistance de ses confrères spécialistes qu'il accuse de « mauvaise foi ». Et s'appuie sur la qualité à ses yeux de l'étude sanitaire de l'INSERM : « L'échantillon est loin d'être négligeable, lance le conseiller de Paris. Les maisons de naissance sont complémentaires aux maternités, elles ne s'y substituent pas car elles ne peuvent vivre sans elles. Développer des maisons n'entraînera aucune fermeture de maternités ! »
* Initialement le 2 avril mais un report est à prévoir
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?