Jean-Yves Madec (Anses) : « La surveillance de l’antibiorésistance en temps réel reste à construire en France »

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Publié le 15/11/2024
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Actuellement chargée de surveiller l’antibiorésistance dans les élevages français, l’Anses pourrait demain élargir son champ d’action à l’environnement. Encore faut-il se mettre d’accord sur des standards, comme l’explique Jean-Yves Madec, directeur scientifique antibiorésistance à l’agence.

Crédit photo : Pascal Le Douarin

LE QUOTIDIEN : Quelle place occupe l’antibiorésistance au sein des préoccupations de votre agence ?

JEAN-YVES MADEC : L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a été « cartographiée » en sept grands axes thématiques transversaux et l’antibiorésistance est l’un d’entre eux. Cela fait quarante-deux ans que nous surveillons l’antibiorésistance. Notre dispositif Résapath existe depuis 1982 et s’est progressivement développé : nous collectons actuellement 70 000 antibiogrammes par an réalisés dans une centaine de laboratoires départementaux.

Que signifie concrètement adopter une approche « une seule santé » en matière de surveillance de l’antibiorésistance ?

En recherche, le One Health est relativement facile à concevoir : il s’agit d’établir des collaborations entre équipes d’horizons très différents pour répondre à une question. En matière de surveillance, les choses sont un peu plus compliquées. L’approche One Health va consister à utiliser des données collectées sur le long terme en médecine humaine, vétérinaire et dans l’environnement et à essayer de les exploiter avec une démarche intersectorielle.

Cela fait quarante-deux ans que l’Anses surveille l’antibiorésistance

Par exemple, l’Anses est chargée de la surveillance de l’antibiorésistance en milieu animal, tandis que d’autres organismes surveillent l’antibiorésistance humaine en ville, et d’autres encore à l’hôpital. Actuellement, nous ne savons que juxtaposer ces différentes sources de données. Il ne nous est pas encore possible, par exemple, de faire de la surveillance en temps réel pour voir si des bactéries résistantes émergent en même temps dans des milieux différents. Pour cela il faut que les données soient interopérables.

Il faudra aussi commencer à surveiller l’émergence de résistance aux antibiotiques dans l’environnement, or cette surveillance est encore à construire en France car nous ne disposons pas encore d’indicateurs spécifiques qui fassent consensus. Pour l’instant, les données sur les bactéries antibiorésistantes détectées dans les milieux naturels ne sont exploitées que pour la recherche. Elles ne nous renseignent pas sur le risque de transmission. La question de l’antibiorésistance est complexe et nous avons besoin de standard pour lui donner du sens.

Le métaréseau Promise a déterminé les normes pour la surveillance de l’antibiorésistance dans l’environnement. La prochaine étape sera la création d’un réseau de surveillance pérenne et le choix de l’organisme chargé de l’animer.

Quelles sont les principales bactéries sous surveillance ?

Les entérobactéries, comme E. Coli, forment le gros de la troupe car elles sont très partagées dans le règne animal, et ce sont elles qui portent les résistances les plus menaçantes aux antibiotiques critiques comme les céphalosporines ou les fluoroquinolones.

D’autres bactéries méritent notre attention comme les salmonelles alimentaires dont on sait qu’elles acquièrent des résistances et dont l'élevage constitue un réservoir. Mieux comprendre la manière dont circulent les résistances, c’est aussi ça l’approche One Health.


Source : Le Quotidien du Médecin