Le turn-over médical s’emballe dans les déserts et les premiers à en pâtir – en dehors des patients – sont bel et bien les médecins restant. L’accessibilité moyenne à un généraliste a chuté de 20 % entre 2015 et 2023 et les trois quarts des Français vivent désormais dans une zone éligible à une aide à l’installation. Face à ce constat, les médecins ont mis en place diverses stratégies d’adaptation que l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) a analysé dans un travail de recherche rendu public le 6 octobre.
Prendre la poudre d’escampette, faire moins de médecine générale
La première réponse à une situation de pénurie médicale consiste à déserter (le territoire ou l’exercice de médecine générale initialement choisi) lorsque la demande en soins est devenue trop forte, constate l’Irdes. Option la plus radicale : les généralistes quittent la profession soit temporairement par un arrêt maladie (plus ou moins long) soit définitivement en embrassant une nouvelle carrière ou en partant en retraite anticipée. À cet égard, le taux de départs hors retraite entre 2016 et 2022 atteint 13 % dans les territoires les plus désertés contre 11,3 % dans les secteurs les mieux pourvus. Dans les zones très fragiles, seuls 47,8 % des médecins sont restés en poste sur toute la période, tandis que 27 % ont quitté le territoire (25 % seulement y ont vissé leur plaque).
Résultat : ce sont ces zones déjà déficitaires (où se concentrent les aides publiques) qui, paradoxalement, subissent l’érosion la plus nette de l’offre de soins primaires. Ces départs n’ont rien d’anodin. Chaque sortie non compensée pèse sur l’offre médicale restante et/ou allonge les délais d’accès aux soins. L’évitement devient alors un facteur aggravant de la pénurie, déplore l’Irdes, qui parle ici d’une « mal adaptation » : un ajustement qui protège le praticien mais dégrade la capacité de réponse à la demande de soins.
Sans vouloir quitter le secteur, les omnipraticiens peuvent aussi choisir de renoncer à la médecine générale traitante en se spécialisant en médecine du sport, acupuncture ou homéopathie, cite l’Irdes.
Résister et accroître sa productivité
Tenir à tout prix en optimisant son organisation est la deuxième stratégie déployée par les généralistes sous pression. Ceux qui font ce choix ne travaillent pas forcément davantage en volume (en moyenne cinquante et une heures par semaine, soit un temps de travail « relativement identique » à tous les MG), mais plus intensément : ces praticiens cumulent un nombre de consultations par heure supérieur de 20 % à leurs confrères qui exercent en dehors des déserts.
La pression est d’autant plus forte sur ces derniers que la durée hebdomadaire de travail des médecins dans leur ensemble a reculé de 6,5 % entre 2019 et 2022, ce qui traduit une volonté de mieux préserver l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle de la part des jeunes générations et des femmes, qui constituent la moitié du corps médical. Cette tendance, « une forme de rapprochement par rapport à une évolution sociétale », précise l’Irdes, est même plus marquée dans les zones les moins bien dotées. Résultat : pour les confrères et consœurs qui s’efforcent d’optimiser à tout prix leur journée de consultation (pour absorber une demande croissante), cette forme d’adaptation ne compense pas la pénurie mais accroît en plus le risque de burn-out.
Exercer en équipe, miser sur la coopération pluripro
Troisième levier, collectif cette fois : l’évolution du travail au sein d’un cabinet libéral en solo vers les maisons de santé pluriprofessionnelles, le tout à volume horaire constant. Environ 15 % des généralistes exercent en France dans ces structures. Ce travail en équipe, encore plus prisé dans les déserts, permet en théorie de mieux répartir les tâches et d’augmenter la file active, tout en améliorant la coordination, la prévention et la qualité de vie des soignants. Mais en pratique, l’effet sur la vie professionnelle des médecins reste limité voire parfois contre-productif, ont noté les chercheurs, qui jugent que l’exercice en MSP n’a « pas eu d’impact sur leurs charges et rythme de travail, ou alors à la hausse », avec un effet d’appel de la structure sur la demande de soins.
L’Irdes souligne au passage l’hétérogénéité des maisons : toutes n’intègrent pas pleinement les logiques de coopération, et moins d’un médecin sur deux y délègue effectivement une part de son activité, « ce qui mécaniquement peut conduire à relativiser les gains d'efficience attendus de la coopération interprofessionnelle ».
Réduire la voilure, refuser des nouveaux patients
Face à la demande croissante, les généralistes font parfois des choix drastiques qui leur permettent de continuer leur métier mais pèsent sur l’accès et la qualité des soins, déplorent les chercheurs, qui parlent d’« adaptations défensives ». Parmi une liste de huit mesures traduisant l'adaptation des généralistes à la raréfaction de l'offre de soins sur leur territoire, un médecin sur deux choisit de diminuer son temps de formation continue et un gros quart (27 %) de raccourcir la durée de ses consultations.
Certains cumulent plusieurs ajustements pour se protéger de la surcharge de travail, comme le suivi plus espacé des patients chroniques et des patients réguliers et, surtout, le refus de nouveaux patients comme médecin traitant — un choix assumé par deux tiers (65 %) des généralistes. L’Irdes soulignant que ces comportements de refus sont davantage constatés dans les déserts.
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