C’EST UNE PREMIÈRE en France. AIVI (Association internationale des victimes d’inceste) a mené une enquête unique dans notre pays, qu’elle projetait depuis longtemps : en partenariat avec AXA Atout cur, elle a dressé un état des lieux de la situation des victimes d’inceste. Les résultats, sans être très surprenants, n’en sont pas moins édifiants. Il apparaît en effet que les victimes d’inceste souffrent clairement de pathologies dans des proportions beaucoup plus importantes qu’au sein de la population française.
D’abord le sentiment d’être « très déprimé, de ne pas avoir le moral » est décrit par 72 % des victimes contre 19 % dans la population générale, soit près de 4 fois plus. Ces mêmes victimes déclarent à 93 % avoir régulièrement peur des autres ou peur « de leur dire non », contre 29 % de la population générale. D’ailleurs, il arrive à 86 % des victimes d’être traversées par des idées ou pulsions suicidaires, contre 14 % du reste de la population.
Ces chiffres, souligne le Dr Louis Jehel, chef du service de psycho-traumatologie à l’hôpital Tenon (Paris), « renforcent notre conviction de dépister systématiquement les antécédents de traumatisme sexuel, comme l’inceste, parmi les personnes ayant fait une tentative de suicide et d’autre part de savoir évaluer et protéger chaque victime en crise d’un geste suicidaire. ». Le Dr Jehel a élaboré le questionnaire de l’enquête avec la pédopsychiatre Catherine Bonnet. Ce questionnaire, inspiré d’une étude américaine de référence (l’ACE STUDY (http://acestudy.org/index.html), a été soumis à 341 victimes d’inceste et 946 autres Français.
Un autre « élément de gravité », selon le Dr Jehel, réside dans l’expression du sentiment de peur d’avoir des enfants et d’être un mauvais parent, retrouvée chez 64 % des victimes, 5 fois plus que dans le groupe représentant la population générale.
Corps en souffrance.
Souffrir de douleurs physiques chroniques (mal de dos, migraines) et de façon très régulière, actuellement ou au cours de sa vie, est encore rapporté par 85 % des victimes contre 56 % des autres personnes interrogées.
Ce qui montre « l’importance de dépister, parmi les personnes souffrant de douleurs physiques, la nécessité de rechercher des traumatismes qui doivent orienter vers des soins spécifiques », estime le Dr Jehel, afin d’éviter le risque d’une errance médicale et de la persistance des douleurs.
En outre, 76 % des victimes sont atteintes de troubles compulsifs alimentaires, 8 fois plus que dans la population générale (9 %), troubles qui constituent à la fois un symptôme et un élément de gravité, avec toutes leurs répercussions sur la santé physique et sur les relations sociales. Les victimes indiquent par ailleurs se tourner vers l’alcool et la drogue : 30 % boivent en moyenne plus de trois verres d’alcool par jour (contre 17 % de la population générale) et 27 % consomment au moins une fois par semaine certaines drogues (cannabis, cocaïne, héroïne…) contre 9 % de la population globale. En revanche, le pourcentage de victimes d’inceste qui déclarent souffrir de pathologies graves (cancer, problèmes cardiaques, diabète…) est équivalent à celui de la population générale (20 % contre 19 %).
Comment expliquer l’écart entre la présence d’éléments cliniques et l’absence de lien avec l’inceste, s’interroge le Dr Bonnet. « Les adultes victimes indiquent dans ce sondage certains obstacles à révéler le drame à leur entourage, à leur médecin… L’absence de questions systématiques des médecins et des professionnels de santé sur la possibilité de maltraitances sexuelles pourrait-il en expliquer le silence ? »
L’enquête montre cependant que médecins et autres professionnels de santé représentent 24 % de ceux vers qui les victimes se tournent pour parler la première fois, hors cercle familial : 9 % sont des médecins, 9 % un professionnel de santé, 6 % un psychologue. Mais « les médecins ne sont pas formés, leurs patients victimes n’ont pour possibilité que de montrer un corps en souffrance pendant des mois. Lorsque des médecins ont appris à repérer ces manifestations psychiques et somatiques et à poser des questions simples et ouvertes à leurs patients, ils peuvent avoir un rôle vital pour réduire la durée des effets négatifs de l’inceste sur la santé. »
Ces résultats doivent inciter les pouvoirs publics, insiste la pédopsychiatre, « à mettre en place des centres pour offrir des soins spécifiques aux victimes d’inceste dès le plus jeune âge, assurer la protection des victimes et réaliser des études cliniques et épidémiologiques sur l’inceste et ses conséquences ». Et former les médecins.
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