›Hélia Hakimi-Prévot
Le Quotidien du Médecin – Les nouveau-nés attendent de leur entourage certaines stimulations sensorielles plus que d’autres, car elles captent leur attention, les réconfortent et les calment. Ainsi, ils sont très attirés par le goût sucré. Comment l’expliquez-vous ?
Benoist Schaal – Les nouveau-nés humains sont dépositaires de multiples prédispositions sensorielles : ils fixent préférentiellement le visage humain, s’orientent vers les voix féminines, préfèrent être touchés de façon enveloppante… Ils manifestent également une appétence pour la saveur sucrée ainsi que pour diverses stimulations odorantes. La détection du sucré est supportée par des récepteurs gustatifs situés sur les papilles de la langue et, chez le nouveau-né, du palais et du larynx. Ces récepteurs se développent et fonctionnent in utero.
À la suite de chaque repas maternel, le fœtus humain est exposé à des bouffées de glucose auxquelles il réagit par des variations d’activité. Mais ces débuts de la perception chimiosensorielle sont encore mal compris, et on ne sait pas si ces variations de la glycémie sont détectables au niveau périphérique. Ce dont on est sûr, c’est que chez l’enfant prématuré (au moins 2 mois avant terme) la réception du sucré fonctionne très bien parce qu’elle donne lieu à des réponses orales et faciales interprétées comme exprimant le plaisir. La stimulation sucrée a aussi pour effet de sédater le nouveau-né de façon transitoire : c’est un moyen de modulation de la douleur aiguë. Par ailleurs, les récepteurs au sucré sont déjà connectés au système cérébral de récompense et, de ce fait, sont capables d’initier rapidement les apprentissages dès les premières heures suivant la naissance.
UN APPRENTISSAGE DU GOUT DU COLOSTRUM
Pourquoi à la naissance, les enfants sont-ils attirés par l’odeur du liquide amniotique ?
Tout liquide amniotique humain est attractif pour un nouveau-né humain, sans doute parce qu’il porte un dénominateur olfactif commun du milieu prénatal de notre espèce. Mais chacun possède aussi ses spécificités individuelles qui dépendent des choix de consommation de la mère. Par exemple, les notes olfactives diffèrent chez des mères consommatrices de thé ou de café, de poisson ou de viande grillée, de curry ou de choucroute, de menthe ou de chocolat, ou encore de fumée de tabac ou de Chanel n° 5. La cavité nasale du fœtus est baignée de liquide amniotique tout au long de la gestation. Au cours du dernier trimestre, les récepteurs olfactifs et le cerveau se différencient dans, et en fonction de, cet environnement. Le cerveau fœtal est en quelque sorte canalisé pour acquérir les propriétés chimiosensorielles de son écologie amniotique. Plusieurs expériences indiquent que des odorants introduits in utero (par le biais de l’alimentation maternelle) sont, au cours des premiers jours suivant la naissance, détectés et capables de déclencher des réponses d’appétence et d’attraction. Autrement dit, le nouveau-né se souvient de ce que le fœtus a pu apprendre de l’odeur de son liquide amniotique. Lorsqu’on présente à des nouveau-nés l’odeur spontanée de leur propre liquide amniotique par rapport à celle du liquide amniotique d’un autre fœtus, ils s’orientent vers le leur. La fraction olfactive individuelle du liquide amniotique paraît donc clairement apprise in utero.
Pouvons-nous vraiment affirmer que l’enfant peut se souvenir de ces arômes et les préférer à d’autres, à moyen ou long terme ?
Tout à fait. Plusieurs travaux de recherche confirment cette aptitude du fœtus humain. Nous avons pu montrer que les enfants nés de mères ayant consommé des aliments aromatisés à l’anis durant les dix derniers jours de gestation manifestent une préférence pour cette odeur dans les jours suivant la naissance. À nouveau, ceci démontre l’aptitude fœtale à détecter des odorants, même extrêmement dilués, dans l’écologie amniotique, à les mémoriser et à y réagir après la naissance.
De plus, ces effets d’exposition prénatale peuvent être durablement conservés en mémoire. Par exemple, des mères consommatrices de jus de carottes au cours des trois dernières semaines de gestation donnent naissance à des enfants qui, vers 5/6 mois, préfèrent des céréales humectées au jus de carottes plutôt que des céréales humectées à l’eau. Plus récemment, une expérience indique que des enfants de 8-9 ans dont la mère a consommé de l’ail durant les quatre dernières semaines de gestation préfèrent une purée aromatisée à l’ail plutôt qu’une purée standard (notons que ces enfants étaient dans ce travail alimentés au biberon dès la naissance, de sorte que l’effet d’exposition ne peut pas être imputé à une réexposition à l’arôme de l’ail à travers le lait maternel). Les arômes ingérés par la mère durant la grossesse peuvent ainsi avoir des effets à très long terme sur les préférences alimentaires de l’enfant. Par ailleurs, ces apprentissages se poursuivent après la naissance. Les odeurs associées à la tétée, à la mère ou aux premiers aliments non lactés reçus au moment du sevrage peuvent aussi être acquises très rapidement et durablement.
Les enfants nés de mères consommatrices d’alcool et de tabac sont-ils susceptibles d’être plus attirés par ces substances ?
Les données expérimentales sur la perception périnatale de l’alcool sont nombreuses chez les animaux de laboratoire (surtout rat et souris). Elles montrent toutes la grande susceptibilité du cerveau fœtal et néonatal à l’exposition à l’éthanol, en particulier par la médiation des systèmes olfactif et gustatif. Il en va de même chez le fœtus humain. Par exemple, des enfants nés de mères (non alcooliques) ayant consommé modérément de l’alcool se montrent dans les 3 premiers jours de vie attirés par l’odeur de l’éthanol, et manifestent des réponses orales d’appétence face à cette odeur. L’éthanol consommé par la mère allaitante passe aussi dans le lait maternel, tout comme les composés odorants de la fumée de tabac. Les connaissances sur les effets à long terme de ces expositions précoces aux agents addictifs restent étonnamment imprécises chez notre espèce. Toutefois, plusieurs études épidémiologiques portant sur de grandes cohortes de couples mère-enfant désignent la période de gestation comme étant particulièrement influente dans l’engagement ultérieur –à la préadolescence– de la consommation stable de tabac. Et les conséquences de l’exposition gestationnelle à la fumée de tabac sont plus prononcées chez les fœtus filles que chez les fœtus garçon.
Comment expliquez-vous que tous les nouveau-nés apprécient le lait maternel ?
Nous avons pu montrer que l’odeur du colostrum est en continuité, en termes de composition, avec celle du liquide amniotique. Ce qui est acquis par le fœtus dans le liquide amniotique peut être, pour partie, retrouvé dans le fluide lacté. Autrement dit, le nouveau-né peut utiliser ce qu’il a appris in utero pour apprécier le colostrum, puis le lait. Ainsi, le lait maternel n’est pas uniquement une liqueur nutritive ou protectrice, il est aussi une liqueur de communication : la mère communique par ce biais des éléments sensoriels de son propre environnement au nouveau-né qui les mémorise et s’y référera dans ses décisions ingestives à venir.
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