LE QUOTIDIEN : Comment avez-vous réagi aux annonces d’Emmanuel Macron ?
PATRICK-ANGE RAOULT : Avec le mécontentement le plus profond ! Le fait de devoir passer chez un généraliste avant d’accéder à une consultation remboursée chez un psychologue est une remise en cause de l’accès libre à notre profession. Mais nous ne sommes pas surpris… On sentait venir depuis des années la mainmise de l’orientation sur prescription médicale. C’était déjà présent dans les arrêtés parus autour des troubles du spectre autistique, sur la maladie d’Alzheimer. Et ça a été d’autant plus vrai lors de la mise en place du chèque psy, qui nécessitait une consultation médicale au préalable.
Que reprochez-vous à l’accès sur prescription médicale ?
De nombreuses études, notamment anglo-saxonnes, ont montré que le passage obligé chez un médecin était en réalité une entrave à la prise en charge psychologique. Ça ralentit le parcours, c’est contre-productif. Car, contrairement aux affirmations de l’Institut Montaigne, qui prétend que 75 % des demandes de psychologues passent par le généraliste, la plupart des patients ne viennent pas par leur médecin, mais via leur propre réseau : amis, collègues, services sociaux, éducateurs… Et bien sûr, ça n’empêche pas que des médecins traitants, face à un patient en souffrance, l’orientent vers nous. Ça n’a jamais posé aucun souci.
Le tarif de la consultation de 30 à 40 euros vous paraît-il suffisant ?
C’est dérisoire en libéral ! On a fait le calcul : si un psychologue tient à ce tarif-là pendant toute la semaine, il gagnera à peine le SMIC. Donc, nous devrons consacrer une partie de notre activité à compenser ce tarif. C’est une proposition indécente. Si on le vit aussi mal, c’est qu’on voit ce tarif comme un indicateur symbolique de la place de la psychologie dans notre société. On nous encense pendant la pandémie et finalement on nous montre qu’on ne vaut pas cher. Et puis, ces nouveaux tarifs vont tirer tous les prix vers le bas.
L'adressage permet à l'Assurance-maladie de maîtriser les coûts…
Mais c’est une totale contradiction économique car on va multiplier les consultations médicales pour réaliser cet adressage. Les généralistes vont, c’est normal, demander à être payés. Va-t-on leur demander de faire des tests rapides d’évaluation via un questionnaire ? C’est déjà le cas pour le test de Hamilton, qui prend cinq minutes en ligne, et qui est côté 69 euros, par an et par patient.
Craignez-vous la mise en place d’une psychologie à deux vitesses ?
Oui, on va créer d’un côté des consultations low cost pour les patients les plus pauvres et, de l’autre, des consultations pour les plus riches. Car à 30 euros la consultation, quels sont les psychologues qui accepteront ce tarif ? Les moins expérimentés qui sont souvent paupérisés et galèrent les premières années. C’est d’un cynisme social et éthique total.
Ne pensez-vous pas que le remboursement favorisera l’accès aux soins de santé mentale pour le plus grand nombre ?
Nous ne sommes pas contre le remboursement. Mais avec un tarif normal, qui permette aux psychologues de vivre décemment. Avec une prise en charge mixte entre l’Assurance-maladie et les mutuelles, qui étaient partantes pour compenser, nous aurions pu avoir un tarif acceptable autour de 60 euros. Une consultation chez un généraliste dure en moyenne 15 minutes, chez un psychologue 45 minutes à une heure. Il faut rapporter le tarif au taux horaire. Pour rendre plus accessible la psychologie aux patients défavorisés, il aurait fallu commencer par renforcer les structures qui accueillent gratuitement ces publics. Désormais, on demande aux libéraux d’en payer le coût.
Que proposez-vous de votre côté pour améliorer l’accès à la santé mentale ?
Nous proposons à la profession de se structurer en créant des maisons de la psychologie régionales, qui organiseraient la collaboration entre médecins et psychologues libéraux. Il faudrait aussi renforcer les postes en institution, qui sont largement insuffisants. Nous plaidons aussi depuis 20 ans pour que notre formation soit actualisée sous la forme d’un doctorat professionnalisant. Le modèle des études médicales est riche d’enseignement, il n’y a pas meilleure formation que de passer la moitié de son temps sur le terrain.
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