L’écoresponsabilité aux urgences

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Publié le 06/06/2024
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Les anesthésistes-réanimateurs ont été parmi les premiers acteurs à s’impliquer dans une dynamique de développement durable à l’hôpital. Aujourd’hui, la prise de conscience du corps médical est très forte.

Le nombre de médecins qui exercent dans des conditions durables augmente

Le nombre de médecins qui exercent dans des conditions durables augmente
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La pollution et le changement climatique sont considérés comme les deux plus grandes menaces de santé publique actuelles. Les données scientifiques se multiplient, avec des perspectives dramatiques pour les années à venir. Chaque année, 9 millions de personnes décèdent de maladies liées à la pollution dans le monde, c’est bien plus que la pandémie de Covid-19. Dans la littérature, l’approche des enjeux sanitaires devient globale et on parle de « One Health » (« une seule santé ») : les êtres vivants et les écosystèmes sont interconnectés et la santé des uns dépend de celle des autres.

Une préoccupation incontournable

« Il n’est pas possible que le système de santé émette plus de CO2 que l’aviation. On ne peut pas être soignant d’un côté et participer à la plus grosse menace de santé publique de l’autre, dénonce le Pr Laurent Zieleskiewicz (hôpital Nord, AP-HM). Nous devons avoir un rôle d’acteur et d’ambassadeur. L’OMS a récemment appelé les professionnels de santé à stimuler les politiques. Les choses bougent. Dans toutes les spécialités, de plus en plus d’articles médicaux parlent de l’écoconception des soins, et de nombreuses sociétés savantes ont émis des recommandations. La Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) a été la première à s’impliquer. Mais aujourd’hui, c’est une lame de fond qui monte partout. »

On ne peut pas être soignant d’un côté et participer à la plus grosse menace de santé publique de l’autre

Pr Laurent Zieleskiewicz

L’ensemble des activités de soins, en particulier au bloc opératoire et en réanimation, portent atteinte à l’environnement. Il faut donc concevoir et mettre en œuvre des stratégies qui réduisent cette empreinte dans toutes les étapes du cycle de vie d’un produit ou d’un service.

« Cela passe par le refus des soins inutiles, la sobriété énergétique et la réduction des déchets », explique le Pr Zieleskiewicz. Il faut repenser les prises en charge en termes de parcours patient, de choix des médicaments et dispositifs médicaux. Une co-gouvernance, à la fois administrative et soignante, est indispensable.

Gaz à effet de serre et matériel jetable dans le viseur

La réanimation et surtout les blocs opératoires font partie des services qui consomment le plus d’énergie et de matériel emballé jetable. Les gaz employés en cas d’anesthésie générale sont de puissants gaz à effet de serre, peu métabolisés, et rejetés directement dans l’atmosphère. Les gaz halogénés sont beaucoup plus polluants que le dioxyde de carbone : il est possible de les remplacer, par exemple, par du propofol. Le protoxyde d’azote, également gaz à effet de serre, s’attaque aussi à la couche d’ozone. Il peut être supprimé des blocs.

« Il faut aussi privilégier le réutilisable. L’exemple des lames de laryngoscope, consommées quotidiennement pour les intubations, est un cas d’école. Réutilisables avant la crise de la vache folle, elles sont, depuis, passées en usage unique. Rien n’interdit aujourd’hui de les réutiliser. De même, pour les petites sutures, il n’y a pas lieu d’utiliser des gants stériles : il a été montré qu’il n’y avait pas plus de risque d’infection avec des gants non stériles, qui pèsent beaucoup moins sur le plan environnemental », souligne le Pr Zieleskiewicz.

Un autre exemple est de privilégier la voie per os sur l’intraveineuse, à partir du moment où la molécule a une bonne biodisponibilité. C’est le cas du paracétamol. Une étude a montré que 65 % des prescriptions de paracétamol IV ne sont pas justifiées et pourraient être faites per os.

Former les soignants

« Cela pose la question de l’éducation des soignants et des patients. On a réussi à faire comprendre le risque des antibiotiques, il faut obtenir la même chose avec l’usage unique : les plastiques… ce n’est pas automatique !, lance le Pr Zieleskiewicz. Nous avons déjà organisé une première journée de formation des internes toutes spécialités. Nous en ferons une en novembre pour les étudiants de 2e année de l’AP-HM. Environ 200 internes auront ainsi été formés. Nous avons par ailleurs été mandatés par la Conférence des doyens de médecine pour dispenser en vidéo cinq cas sur l’écoconception des soins à tous les internes de France (plus de 40 000). »


Source : Le Quotidien du Médecin