La façon d’appréhender les infections urinaires (IU) est-elle en passe d’être profondément revisitée ? L’actualisation des recommandations de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) attendues prochainement pourrait en tout cas changer la donne sur différents points.
La cystite de l’homme bientôt reconnue ?
Comme l’a laissé entendre le Dr Matthieu Lafaurie (Paris) lors du congrès, la prise en charge des infections urinaires masculines pourrait notamment connaître un vrai remaniement. Avec, pour la première fois, peut-être, la reconnaissance en France du concept de cystite masculine.
Alors que, pendant longtemps, toute infection urinaire survenant chez l'homme était par principe considérée (et prise en charge) comme une prostatite ou une pyélonéphrite aiguë (PNA), la tendance est aujourd’hui à davantage de nuances. Et certains pays, comme l’Angleterre, la Suède ou encore les Pays-Bas, appréhendent désormais les IU masculines sans fièvre comme d’authentiques cystites.
En France, depuis 2018, la Spilf distingue les infections urinaires masculines fébriles et non fébriles mais sans que la cystite ne soit officiellement reconnue comme une entité clinique à part entière.
De nouvelles recommandations, espérées prochainement, pourraient faire bouger les lignes, même si la question fait encore débat. « De mon point de vue, il n’y a pas systématiquement une infection de la prostate en cas d’infection urinaire masculine (…) et je pense qu’il faut qu’on parle de cystite dans les recos », défend le Dr Lafaurie.
Sans préjuger de la décision finale du groupe de travail, l’infectiologue dessine une nouvelle approche des infections urinaires masculines. Avec, d’un côté, les infections fébriles correspondant à des infections tissulaires (prostatites aiguës ou éventuellement PNA). Et, de l’autre, les infections non tissulaires sans fièvre, correspondant à des infections vésicales ou cystites.
« L’intérêt de ces définitions, c’est de faire le bon diagnostic et de savoir quelle infection on traite. Cela change la nature et la durée des traitements. »
Pour des raisons de diffusion prostatique, les recommandations de 2018 accordent une place prépondérante aux fluoroquinolones, préconisées chez l’homme en première intention dans la plupart des infections urinaires (fébriles ou non), à raison de 14 jours de traitement.
Dans certains cas, « on peut probablement faire moins long avec des molécules différentes », estime le Dr Lafaurie.
Différents éléments plaident dans ce sens. Sur le plan pharmacologique, la diffusion prostatique des bêtalactamines pourrait être sous-estimée par les méthodes de mesure, et être en fait bien meilleure, comme l’ont suggéré Mouton et al. « D’ailleurs, quand on traite une prostatite à entérocoques faecalis, l’amoxicilline marche très bien », argumente le Dr Lafaurie.
On peut probablement faire moins long avec des molécules différentes
Dr Matthieu Lafaurie
Par ailleurs, dans la littérature, de plus en plus d’hommes sont inclus dans les études sur les cystites, avec des données rassurantes quant à l’utilisation en population masculine du pivmécillinam, du triméthoprime, du cotrimoxazole, de la nitrofurantoïne ou encore de la fosfomycine. Une récente étude de cohorte norvégienne (Hakon Saetre et al. BJGP open 2024) ayant comparé antibiotiques à large spectre versus spectre étroit chez des patients consultant en médecine générale pour une infection urinaire non fébrile retrouve, pour certaines de ces molécules, « une très bonne efficacité avec très peu de complications ».
Enfin, côté durée de traitement, une étude randomisée (Drenkonja et al., Jama 2021) menée chez des hommes présentant une infection urinaire non fébrile conclut à la non-infériorité en termes de résolution des signes cliniques d’un traitement par cotrimoxazole ou quinolone de 7 jours versus 14 jours.
Reste à savoir dans quelle mesure les futures recommandations intégreront ces données…
Le fourre-tout des IU à risque de complication remis en question
Au-delà des infections urinaires masculines, la réflexion porte plus largement sur l’ensemble des infections urinaires à risque de complications.
Comme l’a rappelé le Pr Manuel Etienne (Rouen), les recommandations de 2018 fédèrent sous ce terme « fourre-tout » toute IU survenant chez un patient présentant au moins un facteur de risque pouvant rendre l’infection plus sévère ou plus difficile à traiter. À savoir, toutes les anomalies organiques ou fonctionnelles de l’arbre urinaire mais aussi certains terrains particuliers : sexe masculin, grossesse, fragilité, insuffisance rénale chronique sévère et immunodépression grave.
L’idée de ce regroupement est de proposer une approche commune. « Mais finalement, peut-être que ces situations ne partagent pas tant de points communs que ça, que ce soit en termes de physiopathologie, de microbiologie, de diagnostic mais aussi de thérapeutique », oppose le Pr Etienne.
Par exemple, en cas d’IU sur polykystose, « les anaérobies sont surreprésentés, le diagnostic se fait surtout par hémoculture et peu sur l’ECBU, le traitement est complexifié par la présence d'une insuffisance rénale dans plus de 80 % des cas et la nécessité de choisir des antibiotiques qui diffusent dans le kyste avec des taux d'échec en première ligne important », illustre l’infectiologue.
Dans ce contexte, « peut-être que l’on peut évoluer en distinguant les IU à risque de complications liées à une uropathie – qui pourraient constituer un groupe un peu plus homogène – et les IU compliquées liées à l’hôte que l’on pourrait éventuellement appeler IU complexes et dont la compréhension doit encore progresser ».
Différents outils en développement pourraient y contribuer, comme l’ECBU « augmenté » via la culturomique ou le séquençage, à même de mettre en évidence « tout un monde insoupçonné ». Utilisés pour l’instant uniquement dans le cadre de la recherche, ces outils « vont sans doute nous aider à faire un peu le tri dans toutes ces symptomatologies », espère le Pr Etienne. Et à terme, « ils pourraient vraiment faire changer les pratiques ».
Recueil de l’ECBU, les bonnes pratiques selon l’Europe
Alors qu’en matière d’ECBU, les recommandations sont assez disparates d’un pays à l’autre, un consensus européen publié en mai par la Fédération européenne de biologie clinique (EFLM) revient sur les bonnes pratiques (1).
S’il s’agit avant tout de préconisations à destination des laboratoires, certains items plus cliniques introduisent quelques évolutions par rapport aux usages français, notamment pour les modalités de recueil.
Le consensus européen établit en effet de nouvelles « exigences » sur le timing de recueil de l’ECBU, les premières urines du matin devant être privilégiées. « Du fait d’une incubation vésicale de l’urine pendant au moins 4 à 8 heures, ce sont elles qui permettent d’avoir la meilleure sensibilité », explique la Pr Martine Pestel-Caron, microbiologiste à Rouen et coauteur de ces guidelines. À défaut, il est préconisé de bien mentionner sur la prescription le délai qui sépare la miction de recueil de la précédente, « de manière à ce que le laboratoire puisse améliorer son interprétation des faibles bactériuries ».
Une toilette préalable au recueil reste recommandée en population générale, des études retrouvant une plus forte proportion d’ECBU polymicrobiens en l’absence de toilette. En revanche, l’utilisation d’antiseptiques ou de savon – qui peuvent inhiber la croissance ultérieure des bactéries – a été écartée au profit de l’eau seule.
Dans tous les cas, le groupe de travail invite à impliquer davantage les patients en leur permettant de mieux comprendre les modalités de recueil et les bonnes pratiques.
(1) The EFLM European Urinalysis Guideline 2023, Clin Chem Lab Med, 2024 May 30
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