LE QUOTIDIEN : Quels sont les axes de travail de la chaire « Bloc opératoire augmentée » (Bopa) ?
Pr ÉRIC VIBERT : La chaire Bopa a pour objectif d’identifier les problèmes pouvant survenir au bloc opératoire et d’y apporter des solutions humaines et technologiques. Notre travail est pluriprofessionnel puisqu’au sein de la chaire sont associés des chirurgiens, des anesthésistes mais aussi des ingénieurs, des mathématiciens et des sociologues.
Nous réfléchissons collectivement, dans une approche à la fois humaine, sociologique et scientifique, à la transformation du bloc opératoire. Nous tenons compte des interactions entre tous les acteurs du bloc, qui est aujourd’hui dans un fonctionnement davantage horizontal, la hiérarchie étant moins prégnante.
Nos travaux couvrent les domaines de la communication entre chirurgien et patient, la captation d’images chirurgicales, l’analyse du langage naturel dans le bloc opératoire, la réalité augmentée, la robotique collaborative et la protection des données du bloc et des patients.
Qu’en est-il plus particulièrement des travaux sur la réalité augmentée ?
Ils portent tout d’abord sur l’utilisation des jumeaux numériques [représentation virtuelle d’un objet ou d’un système, NDLR]. L’enjeu est réel notamment pour les organes « mous ».
Actuellement, les outils utilisés pour la fabrication de modèles 3D pour la planification ou les opérations chirurgicales sont adaptés aux organes « durs », c’est-à-dire ceux qui ne se déforment pas. En peropératoire, pendant et après l’intervention, l’organe « dur » affiche la même conformation qu’au moment du scanner. En revanche, pour les organes « mous », il est difficile d’intégrer leurs déformations. Si nous prenons l’exemple du foie, dès lors que le chirurgien commence à le libérer de ses adhérences anatomiques, son architecture se modifie et le référentiel n’est plus juste.
L’enjeu est donc de parvenir à créer des jumeaux numériques avec une bonne fiabilité, c’est-à-dire qui puissent se déformer. Aujourd’hui, ce n’est pas encore effectué en pratique clinique. Au sein de la start-up Twinical que j’ai co-fondée, nous œuvrons à la création de jumeaux numériques biomécaniques justes.
Ils permettent aussi, en offrant un référentiel numérique commun, une réflexion à plusieurs, très utile en planification. Auparavant, en cas de cancer du foie, nous n'avions qu’une solution, à savoir la chirurgie. Désormais, les alternatives thérapeutiques sont nombreuses, notamment pour les tumeurs de moins de trois centimètres avec la radiothérapie locale, les chimiothérapies, etc.
Il est donc impératif de décider de la meilleure solution en termes de bénéfices/risques. Outre l’âge du patient, les comorbidités, la taille du cancer, l’agressivité tumorale, il faut aussi étudier la position du cancer dans le foie. Les jumeaux numériques permettent de travailler sur cette définition de la complexité des maladies.
Nous sommes en train d’automatiser cette définition sur un scanner, afin que ce dernier puisse déterminer si le malade est ou non complexe, voire proposer des solutions thérapeutiques. Les jumeaux numériques sont donc une autre utilisation de la réalité augmentée, car ils permettent de prendre des décisions à plusieurs, pour des cas complexes, avec un référentiel numérique commun.
Vos travaux portent aussi sur la lumière fluorescente…
La lumière fluorescente est encore peu connue dans le domaine de la réalité augmentée, et pourtant elle en fait partie. Le principe de la réalité augmentée consiste à voir grâce aux nouvelles technologies, des éléments que l’on ne peut pas voir avec nos yeux.
Avec la chirurgie guidée par la lumière, nous utilisons des fluorescences, qui vont se localiser dans le cancer ou autour, afin de repérer les nodules à la surface des organes. Le cancer devient fluorescent donc visible avec l’usage du proche infrarouge, ce qui facilite l’action du chirurgien.
Dans le cas du foie, cette chirurgie guidée par la fluorescence (ICG) utilise des colorants notamment pour mesurer la fonction hépatique. Cette réalité augmentée influe nécessairement sur la qualité et la sécurité des soins.
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Réalité virtuelle : une valeur ajoutée pour la formation
« La réalité augmentée influe nécessairement sur la qualité et la sécurité des soins »
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