La violence des attaques de l’administration Trump contre la liberté de la recherche force l’Europe à questionner sa capacité à attirer les chercheurs américains tentés de quitter leur pays. Le 5 mai, le président de la République, Emmanuel Macron, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont annoncé que la France et l’Europe allaient respectivement investir 100 et 500 millions d’euros pour promouvoir l’accueil de chercheurs étrangers. Des sommes jugées comme étant « un début » par le PDG de l’Inserm, le Pr Didier Samuel. « Avec 100 millions, on peut accueillir jusqu’à 150 chercheurs », évalue-t-il.
« Les scientifiques partis faire carrière aux États-Unis pensent souvent que la recherche française n’est pas compétitive, ce qui était vrai il y a une quinzaine d'années, souligne le biologiste Patrick Mehlen, directeur du centre de recherche en cancérologie de Lyon et directeur de la recherche au centre Léon-Bérard. L’actualité nous donne l’occasion de leur montrer que nous avons changé et que tout n’est pas si positif outre-Atlantique. » Avant même l’irruption tonitruante du nouveau président républicain, le programme du grand emprunt avec la création des LabEx, Idex et autres programmes d'excellence puis la loi de programmation de la recherche (LPR) 2021-2030 s’étaient donné pour but de rendre plus attractif le métier de chercheur. Cette dernière prévoit le développement de centres de recherche de très haut niveau, la création des chaires juniors et des « paquets de bienvenus » de 200 000 à 500 000 euros par an pour initier les programmes des nouveaux arrivants.
Salaires et environnement de travail
En dépit de ces évolutions, les salaires aux États-Unis sont cinq à huit fois plus élevés qu’en France. Les gros instituts adossés à des établissements privés ou des fondations, qui ont adopté les modes de recrutement inspirés des pratiques américaines, tirent leur épingle du jeu. Les exemples récents de Bana Jabri et Yasmine Belkaid, venues prendre respectivement les rênes de l’Institut Pasteur et de l’IHU Imagine après une carrière à succès aux États-Unis, sont à ce titre très parlants. « C’est une opportunité pour nous de rattraper notre retard. Nous avons une carte à jouer », assume Patrick Mehlen.
C'est une opportunité pour nous de rattraper notre retard
Patrick Mehlen, directeur du centre de recherche en cancérologie de Lyon
Concernant les salaires, le responsable lyonnais mise sur l’apport de fondations privées pour compléter les salaires des chercheurs (de 3 190 euros à l’entrée au CNRS vers l’âge de 30 ans à 5 277 euros en fin de carrière) afin de rattraper les standards américains. « Il faut prendre en compte dans l’équation les frais de mutuelle, de scolarité, de logement qui sont beaucoup plus élevés aux États-Unis, évalue-t-il. Il faudrait doubler les salaires du CNRS pour qu’ils soient compétitifs aux yeux de chercheurs ayant fait carrière aux États-Unis. Le problème étant que cela générerait des différences qui seraient mal acceptées en France. »
Compte tenu de la place disponible, un établissement comme le centre Léon-Bérard ne pourrait pas accueillir plus d’un ou deux chercheurs d’excellence avec la dizaine de personnes dont ils auraient besoin. « En biologie, il faut environ 2 millions d’euros pour assurer l’environnement d’un scientifique de haut niveau », estime Patrick Mehlen.
Outre l’enveloppe prévue dans la LPR, il est possible de mobiliser des fonds européens via l'action Marie Skłodowska-Curie. « Pour le moment, ces financements permettent de soutenir les postes de chercheurs souhaitant s’installer en France pour trois ans, précise le Pr Samuel. Demain, il faudra se poser la question de la pérennisation de ces postes, mais aussi du logement, des conjoints, de la scolarité des enfants… ». L’Inserm travaille à son dispositif Choose Inserm, déclinaison locale du Choose France for Science lancé par l’Élysée. « Selon les chercheurs qui frapperont à notre porte, nous verrons si nous les intégrons dans les équipes existantes ou si nous en créons de nouvelles pour eux », prévoit le Pr Samuel.
La fondation ARC pour la recherche contre le cancer a mis en place son propre dispositif, doté de 3,5 millions d’euros pour accompagner l’installation de chercheurs. « Dans un premier temps, nous visons à accompagner l’installation en France de jeunes européens dont la formation aux États-Unis est entravée ou compromise, mais aussi à aider ceux qui envisageaient de partir aux États-Unis », explique le Pr Éric Solary, hématologue et vice-président de la fondation ARC. La fondation dispose aussi de son programme passerelle qui, pendant un an, fournit une assistance dans la préparation des concours Inserm et CNRS. Enfin, un 3e programme, appelé Leaders en Oncologie, mis en place il y a dix ans, a permis l’installation d’un chercheur étranger de haut niveau par an.
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