LE QUOTIDIEN : Face à tant d’urgences, la démocratie sanitaire reste-t-elle une priorité ?
GÉRARD RAYMOND : L’organisation de notre système de soins n’est plus en adéquation avec les attentes de nos concitoyens, ni avec celles des professionnels de santé. Cela remet en cause l’avenir de tous les acteurs du système de santé, aussi bien les réputés sachants que les soi-disant ignorants. Certains pourraient juger alors que la démocratie en santé n’est pas l’urgence. Pour ma part, tout au contraire, je continue à prêcher pour le dialogue, la participation citoyenne organisée ; la recherche de consensus et la concertation entre tous les acteurs peuvent transformer structurellement notre système de santé. Nous n’avons jamais eu autant besoin de démocratie et de participation citoyenne organisée pour inventer les nouveaux modes du vivre ensemble.
Des patients partenaires sont-ils en train de prendre la place des patients experts ?
C’est moi qui ai porté le concept de patient expert sur les fonts baptismaux lorsque je présidais l’Association française des diabétiques, alors que les diabétologues étaient en opposition avec cette appellation. Aujourd’hui, je pense qu’il est plus exact de parler de patients partenaires. Il faut coconstruire les contenus de l’éducation thérapeutique, les programmes et les actions d’accompagnement, les parcours de santé qui sont des axes forts du fonctionnement du système.
Il y a encore quelques années, on nous disait « Circulez, il n’y a rien à voir », aujourd’hui, nous ne rencontrons plus d’oppositions déclarées et nous avons dépassé le stade de l’expérience. Un groupe de travail est constitué à la direction générale de l’offre de soins (DGOS), des diplômes universitaires (DU) sont créés dans certaines facultés. Des établissements de soins ont commencé à intégrer ces patients partenaires et les professionnels se déclarent satisfaits de leurs mises en place. Cependant, cela part un peu dans tous les sens. Un cadre réglementaire ou législatif permettrait de fixer les formations, la reconnaissance et le statut de ces patients. Faut-il créer un nouveau métier en salariant ces patients ? Faut-il une nouvelle loi ? Ce sont des questions qui sont aujourd’hui posées.
Vous avez souvent dénoncé le paternalisme médical ; où en êtes-vous à ce sujet ?
Tant que les formations initiales n’intégreront pas davantage l’apprentissage de l’écoute bienveillante et du dialogue avec des personnes qui souffrent, les médecins resteront dans la posture des sachants qui prescrivent à des patients ignorants. Quelques progrès ont été observés, mais ils restent minimes. Or l’écoute des patients est essentielle pour faire vivre le colloque singulier et partager les décisions.
Quelle sortie de crise les patients voient-ils pour la médecine libérale ?
La sortie de crise passe d’abord par la réorganisation de la médecine de premier recours à l’intérieur des territoires, avec la généralisation du travail en équipes. Le temps de la médecine solitaire est révolu, il faut faire place à une médecine solidaire, où les groupes et les acteurs communiquent et travaillent les uns avec les autres. Les maisons de santé représentent un modèle, mais on peut envisager d’autres organisations collaboratrices.
Quel regard portez-vous sur les négociations conventionnelles ?
Le système des négociations conventionnelles est totalement périmé. Nous vivons des crises sanitaires et des transformations sociales qui s’accélèrent. Elles nécessitent des réévaluations régulières et fréquentes pour sortir des carcans de rémunération à l’acte et de la T2A. De surcroît, les négociations acteurs par acteurs ont un effet pervers, elles renforcent le corporatisme, alors qu’il faudrait ouvrir une réflexion conventionnelle régulière en réunissant l’ensemble des acteurs autour de la table.
Sur les menaces de déconventionnement, ce ne serait pas aussi grave, je dirais aux syndicats : chiche ! Mais c’est une bombe atomique et je suis scandalisé par la menace d’une méthode qui ne respecte ni notre pacte social, ni le serment d’Hippocrate.
Avez-vous toujours la liberté d’installation dans le collimateur ?
Dans la situation actuelle de pénuries et de désorganisation, obliger des médecins à aller s’installer où ils ne veulent pas n’est plus une bonne solution. Nous devons réfléchir à une forme de régulation en fonction des besoins populationnels sous la responsabilité des ARS, des CPTS et des divers organismes de démocratie en santé.
Je continue à penser que c’est par l’engagement et non par la contrainte que nous arriverons à créer une dynamique. La seule contrainte qui me paraît utile aujourd’hui, c’est l’obligation d’utiliser les outils numériques dans le cadre du forfait qui a été d’ailleurs fixé dans la convention (non signée !).
Les patients ont-ils des propositions à faire sur l’hôpital ?
L’hôpital souffre aujourd’hui du dysfonctionnement du premier recours qui ne prend plus en charge un certain nombre de patients. Il faut le resituer au sein de l’organisation du système de soins, où il doit être en deuxième ou troisième recours et non plus au centre de toutes les turbulences.
Il pâtit aussi d’un problème de management : on a créé des pôles, des GHT, on s’est trompé. Il faut revenir à l’humain et prendre soin aussi des professionnels de santé. Là-dessus, nous rejoignons les médecins. S’ajoute la question des moyens et de la revalorisation des salaires.
Les patients sont-ils prêts à participer à la santé numérique ?
Avec la création de « Mon espace santé », une véritable révolution s’est engagée qui reste complètement inaperçue du grand public : 66 millions de Français ont aujourd’hui à leur disposition un coffre-fort pour entreposer l’ensemble des données de santé qui leur appartiennent. Avec le concours de l’Assurance-maladie, des services sociaux des municipalités, des territoires et des associations, les patients-citoyens doivent d’urgence s’acculturer au numérique en santé et à la télémédecine. Pour pouvoir participer à notre système de santé, l’ensemble de nos concitoyens doivent aujourd’hui être informés et formés aux pratiques des outils numériques.
Les professionnels de santé doivent aussi être éduqués pour se servir de leurs logiciels métiers interopérables et des autres dispositifs, messageries sécurisées, entrepôts des données de santé.
Vous aviez proposé la création de parlements sanitaires. C’était une fausse piste ?
Sous la forme des conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA) qui vont être pérennisées, l’idée que nous avions lancée au sujet de parlements sanitaires continue de faire son chemin. Nous nous en félicitons, car la transformation du système de santé ne se fera ni à l’Élysée, ni à Matignon, mais au sein des territoires, dans le cadre de structures d’échanges territoriales qui réunissent tous les acteurs.
*France Assos Santé, l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé, regroupe une centaine d’association, sa mission est officiellement reconnue dans le code de la santé publique (loi du 26 janvier 2016).
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