LE QUOTIDIEN : Le centre hépatobiliaire de l'hôpital Paul Brousse est le plus gros centre de transplantation du foie en France, - avec 170 greffes cette année -, et l'un des trois principaux en Europe. Existe-t-il une pénurie de greffons hépatiques en France ?
Pr DIDIER SAMUEL : Il existe une pénurie car il y a plus d'inscrits que de transplantés. Pour la quantifier, tout dépend où est placé le curseur. Il y a une forme d'autorégulation, car on s'adapte en fonction de ce qu'on peut faire et de l'évolution de la médecine.
Pour la majorité des carcinomes hépatocellulaires (CHC), le meilleur traitement théorique c'est la greffe hépatique qui permet d'obtenir les meilleurs résultats en termes de survie et de survie sans récidive. C'est un domaine en évolution permanente et nous affinons de plus en plus les critères de transplantabilité via des scores qui tiennent compte de la taille et du nombre de nodules et du taux d'AFP. Le score MELD évalue surtout la fonction hépatique (et rénale) du patient.
La pénurie réelle n'est pas reflétée par l'inscription sur la liste d'attente. La vision des médecins n'est pas la même partout. Ici à l'hôpital Paul Brousse, pour chaque patient, on se pose la question de savoir s'il sera un jour candidat à la greffe. On ne peut pas faire de l'hépatologie sans penser à la greffe. Dans beaucoup de centres, on ne se pose pas la question et beaucoup de patients ne sont pas inscrits.
Pour la cirrhose alcoolique, souvent considérée comme « une maladie auto-infligée », il est nécessaire d'avoir une vision plus positive des choses. Beaucoup de cirrhotiques s'arrêtent de boire. Le programme doit être global incluant le traitement de la maladie du foie et le traitement de la dépendance à l'alcool. L'approche ne peut pas être purement ponctuelle. Aujourd'hui, moins de 5 % des cirrhotiques hospitalisés en réanimation accèdent à la transplantation, ce taux doit être amélioré.
Quels sont les paramètres qui font que la greffe est prioritaire dans votre centre ?
La greffe est un axe prioritaire à Paul Brousse, ce qui n'est pas forcément le cas ailleurs. Cela permet d'absorber la lourdeur logistique, car la greffe mobilise beaucoup d'énergie et de moyens humains. Même si l'activité n'est pas régulière car non programmée, un centre de greffe doit être ouvert tout le temps, pour qu'il n'y ait pas de perte de chance. L'accessibilité au bloc doit pouvoir être assurée en permanence. Pour un prélèvement, souvent la nuit, cela sous-entend que deux équipes chirurgicales soient mobilisées : l'une qui se déplace pour prélever le greffon et l'autre qui commence la greffe.
Maastricht 3, dons vivants, greffons marginaux, machines, quelles stratégies sont mises en place aujourd'hui pour faire face à la pénurie de greffons hépatiques ?
Les prélèvements Maastricht III, c'est-à-dire chez des donneurs en arrêt circulatoire après arrêt des soins, existent depuis 2016. Les résultats sont bons, c'est encourageant. Malgré tout, l'activité a du mal à se développer en France par rapport à d'autres pays comme la Grande-Bretagne. Sur les 2-3 dernières années, le nombre a peu augmenté en valeur absolue. À Paul Brousse, cela représente moins de 5 % des greffes.
On voudrait développer le don vivant adulte-adulte. Actuellement, il s'agit surtout de la transplantation à don familial parent-enfant. Le foie gauche étant plus petit et suffisant pour un enfant, le prélèvement est moins complexe et moins risqué pour le donneur par rapport au prélèvement du foie droit nécessaire pour un receveur adulte. Le programme adulte-adulte représente 5 à 10 greffes/an en France (plusieurs centaines dans certains pays d'Asie) et l'ABM est moins proactive pour le foie que pour le rein. La morbidité de l'hépatectomie droite est plus lourde et la mortalité de 2-3/1 000. Tous les centres ne sont pas autorisés à faire du don familial.
Pour les greffons marginaux, la qualité des organes est repoussée. Aujourd'hui, l'âge n'est plus un facteur limitant, le foie vieillit mieux que les autres organes. Le vrai facteur limitant est la stéatose ≥ 50 %, qui est associée à un risque important de dysfonction du greffon. Une recherche intensive est en cours sur les machines de perfusion d'organes, normo ou hypothermiques, c'est une stratégie d'avenir. L'objectif est double : pouvoir utiliser un greffon spontanément non transplantable et augmenter la durée d'ischémie de principe pour tous les organes.
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