Selon vous, pourquoi les études en cours peinent à conclure ?
Pr Pierre Tattevin : Pris par le temps, on a peut-être trop considéré que la gravité et l’urgence de la crise justifiaient de griller des étapes de l’évaluation des médicaments. Face à la nécessité de disposer d’un traitement le plus rapidement possible, nous n’avons pas pris le temps de screener les meilleures cibles de ce virus, afin de sélectionner les molécules qui avaient le plus de chance de succès. Cette course, tant entre les équipes de recherche que contre le virus, n’a pas permis une évaluation rigoureuse des bénéfices et des risques des molécules testées contre le SARS-CoV-2. Des programmes mieux coordonnés sur le plan international auraient permis de restreindre le nombre d’études concurrentes, et d’éviter ainsi de perdre en puissance statistique. De plus, la communication prématurée d’informations partielles a court- circuité l’étape qui habituellement garantit un jugement indépendant de ce rapport bénéfices/risques : l’évaluation par les pairs. Les communications « fast track », via des plateformes de soumission accélérée dont le principe semble judicieux (mettre rapidement à disposition des chercheurs et des médecins de terrain des résultats en cours de publication), ont entraîné la diffusion de résultats préliminaires, parfois partisans, loin des standards de la recherche.
Quelles leçons en tirez-vous ?
Pr P. T. : La première est de ne pas sacrifier les grands principes de la recherche au prétexte de l’urgence. La seconde est de ne pas anticiper la communication vers le grand public. L’hydroxychloroquine est un cas d’école avec la prise de conscience, après quelques semaines d’un buzz médiatique intense et destructeur, de l’intérêt probablement nul de ce traitement dans le Covid-19. Cela a induit la confusion dans l'esprit du grand public. De nombreux patients ont pris ce traitement sans bénéfice, en s’exposant à des risques parfois majeurs. Ce buzz a par ailleurs freiné l’inclusion des patients dans des études comparatives de qualité, car il suggérait que ne pas prendre d’hydroxychloroquine était une perte de chance.
Alors que l’épidémie marque le pas, la course au traitement vous semble-t-elle encore justifiée ?
Pr P. T. : Sans aucun doute car même dans les régions très touchées, seules 10 à 15 % des personnes ont été immunisées et il n’est pas impossible que d’autres vagues surviennent !
*président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF)
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De premiers résultats disparates
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Pr Pierre Tattevin* : « On a peut-être trop considéré que la gravité et l’urgence justifiaient de griller des étapes »
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