L'expérimentation du cannabis thérapeutique, lancée en 2021 par l'Agence du médicament (ANSM) à la demande du gouvernement, « n'est pas une étude, explique la Dr Laure Copel, du Groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon et membre du comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) de l’ANSM. L'objectif principal est d'en étudier la faisabilité et rassurer le législateur. » Les soins palliatifs sont l'une des cinq indications retenues, les autres étant les douleurs réfractaires, certaines formes d’épilepsie, les soins de support en oncologie, la sclérose en plaques et d'autres situations médullaires.
Que faut-il attendre du cannabis thérapeutique en soins palliatifs ? « Les études sont difficiles à lire, avertit la Dr Copel. La littérature est beaucoup moins précise que celle pour des autorisations de mise sur le marché (AMM). » Il ressort néanmoins que, pour la douleur, l'échelle visuelle analogique (EVA) ne diminue que d'un point. L'efficacité est ailleurs.
« En soins palliatifs, de multiples symptômes sont insuffisamment contrôlés, en moyenne 8 à 12 par patient : fatigue, douleur, anorexie, cachexie, nausées/vomissements, anxiété, agitation, dyspnée, insomnie, dépression, prurit…, détaille la Dr Copel. Les patients expriment un ras-le-bol du médicament, d'autres approches sont les bienvenues. » L'expérience israélienne de plus de 10 ans montre à travers plusieurs études que, si ce n'est pas un bon antalgique, la qualité de vie s'améliore au fil du temps. « Mon ressenti personnel est que les patients ont toujours mal mais se sentent mieux et consomment moins d'antalgiques, notamment moins d'opioïdes », rapporte-t-elle.
Sept symptômes clés
Le cannabis thérapeutique est indiqué pour les sept symptômes cibles suivants : douleur, fatigue, nausées, troubles du sommeil, perte d’appétit, tristesse et inquiétude. « Les bons candidats en palliatif sont les patients qui disent "J’ai mal", mais où l'on entend "Je suis mal" », résume la Dr Copel, indiquant que dans les faits, il y a très peu de prescriptions uniquement pour la douleur. Pour les six symptômes hors douleur, il doit y en avoir au moins un déstabilisé avec un score ≥ 5 au questionnaire MDASI (échelle à neuf critères), ou au moins deux avec une réponse ≥ 4. Le symptôme douleur doit être dû au cancer ou à ses métastases ou en lien avec les traitements anticancéreux.
Les contre-indications médicales sont les antécédents personnels de troubles psychotiques, l'insuffisance hépatique sévère ou une atteinte biologique prédictive (bilirubine > 2N et transaminases > 3N), les maladies ou antécédents cardio- ou cérébrovasculaires sévères, l'insuffisance rénale sévère.
Mais quand on parle de cannabis thérapeutique, de quoi s'agit-il ? « On ne parle pas de cannabis à visée récréative, pas de CBD seul, pas de cannabinoïdes avec AMM ou une autorisation temporaire d'utilisation, comme le Marinol », précise la spécialiste.
Le cannabis, cette plante (chanvre) contenant du THC, peut avoir de multiples présentations. Les produits disponibles dans l'expérimentation sont les solutions orales (huiles) à libération prolongée, les solutés fleuris pour inhalation pour libération immédiate. La voie fumée est interdite et la conduite automobile n'est pas autorisée.
Une formulation CBD dominant
La biodisponibilité est variable selon la forme : les huiles en sublingual ont une efficacité de six à huit heures (pic à 30 minutes), trois prises assurent la couverture toute la journée ; la forme inhalée (qui nécessite un kit spécifique avec chauffage, chambre et vaporisateur) agit rapidement avec un pic à 10 minutes mais la durée d'efficacité est plus courte.
« Aux Diaconesses, on a choisi une formulation avec 20 fois plus de CBD que de THC, le CBD étant apaisant, le THC plus antalgique, explique la Dr Copel. Pour titrer en palliatif, il faut d'abord équilibrer en CBD (CBD dominant) dans l'objectif d’apaiser avec un peu de THC pour traiter aussi la douleur. » Le traitement est débuté à faible dose (5 mg le soir), avec augmentation progressive et réévaluation tous les trois jours jusqu’à 40 mg de CBD. « Quand le patient est équilibré, on peut ajouter des fleurs pour traiter des accès aigus », ajoute-t-elle.
L'inclusion court jusqu'au 26 décembre 2022, soit trois mois avant la fin de l’expérimentation en mars 2023, étant entendu que les patients soulagés devraient pouvoir continuer. Quelque 1 500 participants étaient inclus en juin. « On est devant une nouvelle, et surtout, une grande classe thérapeutique. Les connaissances scientifiques se construisent. Le message de santé publique est difficile à faire passer, ce n'est pas pour les gens en bonne santé », précise la Dr Copel. De nombreux pays - dont l'Australie, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, Israël, les États-Unis dans 23 États… - l'ont déjà autorisé.
lcopel@hopital-dcss.org
experimentation-cannabismedical@ansm.sante.fr
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