LE QUOTIDIEN : Quel bilan tirez-vous de ce 28e congrès de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ?
Dr CLAIRE FOURCADE : Nous avons d’abord été touchés par l’envie des participants de se retrouver, après deux éditions en distanciel en raison du Covid-19. Nous avions peur que les difficultés actuelles l’emportent : mais c’est bien le besoin d’une respiration partagée qui a triomphé. La culture palliative, soucieuse du sens et du temps consacré à l'autre, me semble l'avenir d'un monde du soin en crise.
Ce congrès a mis un coup de projecteur sur le « hors les murs » : il est important que les professionnels des soins palliatifs aient conscience que des personnes en fin de vie se trouvent partout - à domicile, en Ehpad, mais aussi dans la rue, en prison -, qu'ils aillent vers elles et entendent ce que les équipes qui les côtoient nous disent.
Le cinquième plan de développement des soins palliatifs 2021-2024 vous semble-t-il de nature à garantir à tous les Français un accès équitable à ces soins ?
Nous sommes en phase avec toutes les mesures du plan. Mais les moyens alloués sont insuffisants ; l’impression générale d’un mal mourir en France risque de perdurer. Les fonds nouveaux (59 millions d'euros sur un total de 171 millions, NDLR) représentent un euro par Français sur quatre ans, soit 25 centimes par personne et par an… contre 12 euros par exemple pour le nouveau plan autrichien.
Je m'inquiète notamment de la disparition des réseaux de soins palliatifs. Toutes les semaines, nous recevons des messages de structures qui ferment, faute de personnel, ou parce que les réseaux ont été intégrés aux dispositifs d'appui à la coordination (DAC), créés dans chaque département depuis le 1er juillet. Même si tel n'était pas l'objectif initial, la mission d'expertise que remplissaient les professionnels des réseaux (souvent associatifs), qui intervenaient au domicile des patients, se perd au sein de ces DAC, transformés en plateformes de coordination et d'écoute. Et lorsqu'un réseau disparaît, comme dans l'Allier par exemple, les financements sont taris, il n'y a plus de soins palliatifs à domicile.
En outre, alors que les Français veulent mourir chez eux, seulement 5 millions d'euros sont alloués pour renforcer les équipes mobiles en 2022. Et il reste encore 26 régions sans unité de soins palliatifs (USP).
Quels leviers faudrait-il actionner pour relever les défis actuels ?
Il faut maintenir une diversité des structures afin de proposer une prise en charge précoce - les soins palliatifs ne se résument pas à l'extrême fin, ce sont les soins de la maladie qui ne va pas guérir - et graduée selon les besoins.
L'hôpital de jour (HDJ) est peu développé ; pourtant, c'est un dispositif essentiel pour maintenir les patients à domicile, il a même changé notre façon de travailler à la Poly-
clinique Le Languedoc à Narbonne, structure dans laquelle j'exerce. Le patient bénéficie de soins de confort (kiné, diététicien, sophrologue, hypnose, relaxation, musicothérapie, etc.) en une journée, selon une fréquence qui dépend de son état de santé. On l'accompagne pendant plusieurs années, on aborde avec lui les directives anticipées, cela évite les réhospitalisations non programmées.
Nous cherchons aussi à faire monter en compétences les structures d'hospitalisation à domicile (HAD), puisque 25 à 40 % de leurs patients sont en soins palliatifs.
Les dispositifs d'astreinte, de forme variable selon les territoires, sont intéressants pour éviter les hospitalisations ou les urgences. L'expérimentation Pallidom de l'HAD AP-HP, qui prévoit l'envoi d'un binôme infirmier-médecin les heures suivant une instabilité chez un patient, a permis de limiter les hospitalisations au nombre de trois en un an sur le territoire. J'ai enfin bon espoir qu'il y ait prochainement des cellules de coordination dans toutes les régions.
Les soins palliatifs souffrent d'un déficit de professionnels formés, et notamment de médecins. Que faire ?
Il nous semble prioritaire que chaque étudiant en santé, médecin et infirmier, puisse faire un stage de cinq jours au sein d'une équipe de soins palliatifs pour observer notre travail pluridisciplinaire et l'inversion des priorités qui nous guide : la recherche de la qualité de vie, plus que de la quantité. Les équipes s'impliquent de plus en plus pour accueillir des externes, et pas seulement dans les CHU.
D'autre part, nous avons observé que les recrutements sont plus faciles lorsque les soins palliatifs ne représentent pas toute l'activité du médecin, mais seulement une partie. La discipline est passionnante et attractive, mais elle peut être éprouvante, surtout en début de carrière, lorsqu'elle est pratiquée à temps plein.
Le Président Emmanuel Macron a annoncé l'organisation d'une convention citoyenne sur la fin de vie. Quel message porterez-vous ?
D'abord, il nous semble nécessaire que les soignants participent à cette convention, en particulier ceux qui ont l'expérience de la fin de vie. Nos patients ne prennent pas la parole ; nous devons donc témoigner de ce qui se passe dans ces moments, qui est tout autre que ce que des personnes en bonne santé peuvent imaginer.
Nous redoutons que le débat se polarise autour de l'euthanasie, c'est-à-dire l'injection létale faite par un médecin. Beaucoup de choses restent à faire pour améliorer la prise en charge de la fin de vie ; l'euthanasie ou un changement de loi ne sont pas les seules solutions !
Un sondage que nous avons fait l'été dernier auprès de l'ensemble des acteurs des soins palliatifs montre que l'euthanasie ne peut incomber au soignant pour 96 % des répondants. Plus les médecins sont impliqués dans la fin de vie (par exemple, les médecins de soins palliatifs versus les médecins de santé publique), plus ils y sont réticents. La société peut évoluer, mais la main qui soigne ne peut être celle qui donne la mort. Environ 40 % des soignants de soins palliatifs démissionneraient si on leur demandait un geste létal.
Le modèle belge n'est ni le seul ni le plus adéquat. En Suisse et en Oregon, les soignants ne sont pas impliqués dans les suicides assistés. C'est aussi ce qui se profile en Italie, en Autriche ou en Allemagne.
Les évolutions chez nos voisins européens - l'Espagne vient de légaliser l'euthanasie - ne peuvent-elles pas influer sur le débat français ?
Nous ne vivons pas sur une île, sans compter que les militants pro-euthanasie sont très actifs. Mais en 2005 avec la loi Leonetti, comme en 2016 avec la loi Leonetti-Claeys, nous avons toujours trouvé une troisième voie, qui permet d'accompagner de manière solidaire les personnes malades.
Une loi n'est pas là pour répondre à des demandes singulières. Elle envoie avant tout un signal collectif : « Vous comptez pour nous, nous allons tout faire pour vous soulager, quoiqu'il en coûte, même si cela raccourcit la vie ou altère la conscience. » Un message important lorsque la douleur met en péril le sens des choses. Ce serait un véritable bouleversement que de dire : « Faites ce que vous voulez. »
Des « exceptions d'euthanasie », dans des situations particulièrement difficiles, sujet auquel réfléchit le Comité onsultatif national d'éthique, sont-elles souhaitables selon vous ?
Je parle à titre personnel : accepter des exceptions risque de donner au médecin le pouvoir gigantesque de décider quelles sont les morts exceptionnelles ou ordinaires. Alors que toute mort singulière est exceptionnelle.
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