Oncologie

CANCER DE LA PROSTATE LOCALISÉ : SURVEILLANCE ACTIVE VS TRAITEMENTS

Publié le 12/06/2023
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La prise en charge à long terme d’un cancer de la prostate localisé a bien évolué ces dernières années. Après la publication d’une étude évaluant les différences entre surveillance médicale active, prostatectomie et radiothérapie sur une période de 10 ans, les résultats ont été publiés dans le NEJM avec un recul de 15 ans.

Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

Résultats des traitements du cancer de la prostate à quinze ans : surveillance rapprochée vs chirurgie et vs radiothérapie
Fifteen-Year Outcomes after Monitoring, Surgery, or Radiotherapy for Prostate Cancer
Hamdy FC, Donavan JL, Lane JA & al, for the ProtecT Study Group N Engl J Med 2023 ;388:1 547-58.

CONTEXTE

Entre 1999 et 2009, 82 429 hommes âgés de 50 à 69 ans vivant au Royaume-Uni ont fait un test PSA (« antigène spécifique prostatique » en français). Un cancer localisé de la prostate a été dépisté chez 2 664 (3,2 %) d’entre eux et 1 643 ont accepté d’être randomisés dans un groupe « surveillance médicale active » (n = 545), ou prostatectomie (n = 553) ou radiothérapie (n = 545), cette dernière associée à une courte cure d’un médicament anti-androgène (3 à 6 mois). Le suivi des patients consistait en un dosage du PSA tous les 3 mois dans la première année post-inclusion, puis en une consultation tous les ans associée à un dosage du PSA. Dans le groupe « surveillance médicale active », une augmentation du PSA de 50 % dans l’année conduisait à un entretien avec le patient pour décider de continuer la surveillance ou de recourir à un traitement radical (prostatectomie ou radiothérapie). Dans tous les groupes, une scintigraphie osseuse était recommandée si le PSA (annuel) dépassait 10 ng/mL et un traitement anti-androgène était préconisé si le PSA était > 20 ng/mL. Le résultat principal tel que défini dans le protocole a été publié, une première fois, en 2016 après 10 ans de suivi (1). Les résultats après 15 ans de suivi ont fait l’objet d’une publication en avril dernier dans le New England Journal of Medicine.

OBJECTIF

Comparer les résultats, à 15 ans, de la surveillance médicale active vs la prostatectomie ou la radiothérapie chez des patients atteints d’un cancer localisé de la prostate identifié par un test PSA.

MÉTHODE

Essai randomisé en ouvert réalisé dans neuf services hospitaliers au Royaume-Uni. Les patients inclus étaient atteints d’un cancer localisé de la prostate dépisté par un dosage de PSA et confirmé par biopsie. La publication de 2023 commentée dans cet article est l’analyse (post hoc) sur le critère de jugement principal (CPJ) en 2020 après un suivi médian de 15 ans. Ce CPJ était le décès dû au cancer de la prostate validé par un comité d’experts indépendants, en insu du groupe alloué. Les critères de jugement secondaires étaient la mortalité totale, l’apparition de métastases (évaluée par imagerie ou PSA ≥ 100 ng/mL), la « progression clinique » mesurée par un critère composite (survenue de métastases, ou classification du cancer en T3 ou T4, ou instauration d’un traitement anti-androgène à long terme, ou obstruction urétrale, ou fistule rectale, ou cathétérisation urinaire liée au grossissement tumoral), et un dernier critère secondaire était l’instauration d’un traitement anti-androgène à long terme seul. L’analyse sur les critères secondaires n’était pas hiérarchisée et n’a pas tenu compte de l’inflation du risque alpha. L’analyse statistique sur le critère principal a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle proportionnel de régression de Cox ajusté sur le centre investigateur, l’âge du patient, le taux de PSA et le score de Gleason à l’inclusion.

RÉSULTATS

À l’inclusion, les caractéristiques des patients étaient similaires dans les trois groupes (2) : âge médian = 62 ans (mini-max = 50-69), score Gleason 6 = 77 %, Gleason 7 = 20 %, stade T1c = 76 %. Dans chaque groupe, la sévérité du cancer augmentait avec l’âge et le taux de PSA. Globalement, 24 % des patients de chaque groupe avaient un cancer de la prostate à risque intermédiaire et 9,6 % à haut risque. Au total, plus de trois quarts des patients avaient un cancer à bas risque (intermédiaire ou faible).

L’analyse à 15 ans sur le CPJ a concerné 98 % des patients inclus bien que 16 % à 25 % d’entre eux aient changé de groupe au cours du suivi ou n’ont pas reçu le traitement alloué. Il y a eu 17 décès (3,1 %) dus au cancer de la prostate dans le groupe surveillance médicale active, 12 (2,2 %) dans le groupe prostatectomie et 16 (2,9 %) dans le groupe radiothérapie : HR prostatectomie vs surveillance = 0,66 ; IC95 = 0,31-1,39 et HR radiothérapie vs surveillance = 0,88 ; IC95 = 0,44-1,74, p = 0,53 pour ces deux comparaisons. Il en était de même sur le critère mortalité totale : 124 (22,3 %), vs 117 (21, 2 %), vs 115 (21,1 %) respectivement, HR prostatectomie vs surveillance = 0,89 ; IC95 = 0,69-1,15 ; et HR radiothérapie vs surveillance = 0,88 ; IC95 = 0,69-1,13.

En revanche, il y a eu significativement moins de métastases (HR = 0,48 ; IC95 = 0,30-0,77), de progression clinique de la maladie (HR = 0,36 ; IC95 = 0,27-0,49) et de traitement anti-androgène au long cours (HR = 0,54 ; IC95 = 0,37-0,80) dans les groupes traitement radical que dans le groupe surveillance médicale active. Les effets indésirables des traitements ne sont pas spécifiés.

COMMENTAIRES

Les résultats de ces analyses sont identiques à ceux de l’analyse finale à 10 ans (1). Bien qu’ils soient biostatistiquement discutables pour les puristes (de nombreux résultats n’ont pas de valeur p), il est très rare de disposer des résultats d’un essai d’intervention à 15 ans. Il faut féliciter les chercheurs d’avoir fait une analyse (honorable) sur 98 % des patients après 15 ans de suivi médian et 21 ans après la première inclusion.

Une lecture non critique de ce travail herculéen pourrait laisser croire qu’il ne faut pas traiter les cancers prostatiques localisés à bas risque (selon les anciennes classifications). Dans cet essai, il n’y a pas de bénéfice de la prostatectomie ni de la radiothérapie en termes de mortalité spécifique et totale, au prix d’une progression clinique plus fréquente (et douloureuse) dans le groupe surveillance. Cependant, et en miroir, il n’y a malheureusement pas de chiffrage des effets indésirables sexuels et urinaires bien connus de la prostatectomie et de la radiothérapie. À l’époque où cet essai a été initié, certaines recommandations (en particulier états-uniennes) préconisaient un dépistage systématique du cancer de la prostate à l’aide du PSA, de biopsier les sujets dont le taux était élevé et de traiter la maladie quand elle était confirmée.

Vingt ans plus tard, le dosage du PSA à titre de dépistage n’est plus la norme et les recommandations insistent sur la décision médicale partagée aussi bien à propos du dépistage que des bénéfices et des risques des traitements (3, 4). Cependant, cette louable attitude est chronophage pour des praticiens surchargés et nécessite, pour le médecin, une connaissance encyclopédique de la littérature.

Depuis 1999, les stratégies diagnostiques et thérapeutiques ont considérablement évolué. Aujourd’hui, en cas de taux de PSA élevé, il est recommandé de recourir à une IRM multiparamétrique (IRM-MP) et de ne biopsier que les patients ayant un score de 3 à 5 sur le Prostate Imaging-Reporting and Data System (PI-RADS) qui est coté de 0 à 5. Par ailleurs, la classification génomique peut également contribuer à affiner le pronostic et la décision thérapeutique (5). Enfin, le dosage de l’antigène spécifique de membrane prostatique et le PET scan associé à l’IRM-MP sont validés (bien que peu utilisés) pour définir le stade des cancers à risque intermédiaire ou élevé (6) et guider la stratégie thérapeutique.

En pratique, compte tenu des progrès en termes d’outils de prédiction utilisés par les urologues et d’efficacité des traitements, la surveillance médicale active n’est plus vraiment une alternative dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer localisé de la prostate (7), y compris pour le patient qui peut avoir des difficultés à comprendre et accepter qu’il faut juste attendre et voir venir dans certains cas (4).

Dr Santa Félibre (généraliste enseignant)

BIBLIOGRAPHIE
1. Hamdy FC, Donavan JL, Lane JA, et al for the Protect Study Group. 10-Year Outcomes after Monitoring, Surgery, or Radiotherapy for Localized Prostate Cancer. N Engl J Med 2016 ;375:1415-24. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1606220
2. Lane JA, Donavan JL, Davis M,
et al. Active monitoring, radical prostatectomy, or radiotherapy for localized prostate cancer: study design and diagnostic and baseline results of the ProtecT randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 2014 ;15:1109-18. http://dx.doi.org/10.1016/S1470-2045(14)70361-4
3. American Cancer Society. American Cancer Society recommendations for prostate cancer early detection. February 24, 2023. https://www.cancer.org/cancer/prostate-cancer/detection-diagnosis-stagi…-
recommendations.html
4. Sartor S. Localized Prostate Cancer – Then and Now. N Engl J Med 2023 ;388:167-8. https://doi.org/10.1056/NEJMe2300807
5. Jairath NK, Dal Pra A, Vince R Jr, et al. A systematic review of the evidence for the Decipher genomic classifier in prostate cancer. Eur Urol 2021 ;79:374-83. https://doi.org/10.1016/j.eururo.2020.11.021
6. Emmett L, Buteau J, Papa N,
et al. The additive diagnostic value of prostate-specific membrane antigen positron emission tomography computed tomography to multiparametric magnetic resonance imaging triage in the diagnosis of prostate cancer (PRIMARY): a prospective multicentre study. Eur Urol 2021 ;80:682-9. https://doi.org/10.1016/j.eururo.2021.08.002
7. Moore CM, King LE, Withington J, et al. Best current practice and research priorities in active surveillance for prostate cancer –
a report of a Movember International Consensus Meeting. Eur Urol Oncol 2023 ;6:160-82. https://doi.org/10.1016/j.euo.2023.01.003


Source : lequotidiendumedecin.fr