Nous voyons en visite José, 57 ans, qui n’arrive plus, depuis quelques heures, à mobiliser sa jambe et sa cuisse droite. Cette situation fait suite à une réception rapide de ce patient dans son fauteuil. José, qui a vécu dans la rue, nous explique avoir eu antérieurement des paralysies qui concernaient les bras et les épaules suite à des compressions minimes. Il a été hospitalisé pour ces différents épisodes et, suite à l’administration d’antalgiques, ces troubles moteurs ont été rapidement résolutifs (entre 24 heures et 3 jours). Sa mère souffrait des mêmes maux et on avait parlé à cette époque de myosite, traitée par des AINS.
Cliniquement, nous retrouvons une paralysie quasi complète du membre inférieur droit. Il existe un signe de Lasègue positif à 45° et le réflexe achilléen est aboli. Nous notons également l’existence de pieds creux. Compte tenu de l’anormalité de l’examen clinique mais aussi du fait que des épisodes superposables ont été observés, le patient a été hospitalisé dans le service de neurologie. Nous le revoyons au bout de quelques semaines avec un diagnostic posé lors de sa prise en charge, celui de neuropathie tomaculaire.
INTRODUCTION
D’autres dénominations sont données à cette affection, comme la neuropathie héréditaire par hypersensibilité à la pression ou la neuropathie allantoïdienne. La neuropathie tomaculaire a été décrite pour la première fois en 1947 par De Jong qui avait observé des paralysies du releveur du pied chez des agriculteurs accroupis de manière prolongée. Le terme tomaculaire est à rapprocher de l’existence de gonflements en saucisse (tomacule) des gaines de myéline qui sont observés dans cette situation.
La prévalence de cette neuropathie est comprise entre 1 et 9 cas/100 000 personnes. Les hommes sont plus concernés par cette neuropathie, exerçant des activités professionnelles plus exposées aux traumatismes. Cette neuropathie est transmise génétiquement sur un mode autosomique dominant qui se caractérise par une délétion 17p11.2-p12 au niveau du gène PMP22.
SYMPTOMATOLOGIE
Cette pathologie peut être asymptomatique. Cependant, dans la majorité des cas, on objective un premier épisode de paralysie avant 30 ans dans près de 80 % des cas. Différents nerfs peuvent être concernés : le sciatique poplité externe, le nerf cubital, le nerf radial ou le nerf médian. Cette paralysie est souvent précédée par des paresthésies qui sont généralement indolores et font suite à une compression ou une posture spécifique, ou un mouvement brusque ou un traumatisme pas nécessairement très important.
Sur un plan clinique, on peut retrouver une aréflexie tendineuse (dans 50 % des cas, elle concerne le réflexe achilléen) mais aussi des pieds creux (entre 20 et 50 % des cas). On peut également objectiver une scoliose. Les épisodes de paralysie sont plus ou moins brefs (entre quelques heures et quelques mois) et la récupération s’effectue, dans la grande majorité des cas, sans séquelles.
DIAGNOSTIC
Pour être sûr du diagnostic, il faut dans un premier temps prendre en compte les antécédents familiaux du patient. Il est également important de demander des examens électrophysiologiques (EMG) mettant en évidence une atteinte démyélinisante sensitivomotrice.
Par ailleurs, la biopsie nerveuse permet de retrouver un épaississement de la gaine de myéline. L’analyse histologique montre une réduction significative des fibres myélinisées de grand diamètre et une augmentation de celles ayant un petit calibre.
Actuellement, la biopsie est substituée par la recherche génétique moléculaire, qui détermine la délétion siégeant sur le chromosome 17.
PRISE EN CHARGE
Il est important, dans un premier temps, de souligner que cette neuropathie n’affecte pas l’espérance de vie des patients. Cependant, il est nécessaire d’améliorer la qualité de vie des sujets atteints en donnant des conseils sur les activités physiques qui peuvent engendrer un déficit moteur (activités d’endurance, celles où les chocs sont fréquents comme la boxe).
Il est également possible de prescrire des orthèses pour les pieds et les mains dès lors qu’une paralysie survient à ce niveau. Enfin, il ne faut pas oublier les effets délétères de certains médicaments (comme des antimitotiques, l'amiodarone, l'isoniazide…) sur cette neuropathie, effets pouvant majorer la symptomatologie sensitivomotrice induite par cette pathologie.
Dr Pierre Frances (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Aïda Tall (interne en médecine générale à Montpellier), Jules Cuquemelle et Sophie-Camille Rambinaissing (externes à Montpellier)
BIBLIOGRAPHIE
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