Risques et bénéfices des anticoagulants oraux directs vs warfarine en conditions réelles d’utilisation : étude de cohorte en soins primaires
Vinogradova Y, Coupland C, Hill T, Hippisley-Cox J. Risks and benefits of direct oral anticoagulants versus warfarin in a real-world setting: cohort study in primary care BMJ 2018. http://dx.doi.org/10.1136/bmj.k2505
CONTEXTE
Depuis huit ans, les anticoagulants oraux directs (AOD) : dabigatran, rivaroxaban et apixaban se sont positionnés en alternative à la warfarine (1,2) dans la prévention des AVC chez les patients atteints de fibrillation auriculaire non valvulaire (FANV) et dans le traitement et la prévention des thromboses veineuses profondes chez ceux souffrant de maladie thromboembolique veineuse (MTEV).
Leurs avantages potentiels sont l’administration d’une dose fixe et l’absence de contrôle biologique régulier de la coagulation.
Leur principal handicap est la rareté des antidotes, ce qui grève leur sécurité d’emploi. De plus, il persiste des incertitudes sur leur risque d’hémorragie grave. Dans leurs essais randomisés comparatifs (ERC), les AOD ont solidement démontré que leur efficacité était non inférieure à celle de la warfarine (3,4), et une méta-analyse récente exhaustivement documentée démontre que la balance bénéfice/risque de l’apixaban est plus favorable que celle de la warfarine (5). Issues d’ERC de bonne qualité, les données disponibles sur les AOD vs la warfarine ont un haut niveau de preuve. Cependant, les conditions dans lesquelles les ERC expérimentaux sont réalisées et les patients qui y sont inclus sont très différents de ceux de la pratique clinique en soins primaires, ce qui ne garantit pas les mêmes résultats.
OBJECTIFS
Comparer les risques puis les bénéfices des trois AOD les plus prescrits à ceux de la warfarine quelle que soit l’indication : FANV ou « autres indications ».
MÉTHODE
Étude de cohorte prospective ayant regroupé les 1 457 cabinets de médecine générale du réseau QResearch et les 357 du réseau Clinical Practice Research Datalink représentatifs des médecins généralistes et de la population britannique prise en charge en soins primaires. La cohorte était constituée de tous les patients âgés de 21 à 99 ans débutant un traitement par un anticoagulant oral (dabigatran, rivaroxaban, apixaban ou warfarine) à partir de janvier 2011, quelle que soit l’indication. Ils ont été suivis jusqu’en octobre 2016.
→ Le critère principal de jugement de sécurité d’emploi était défini par l’hospitalisation ou le décès lié à une hémorragie sévère.
→ Le principal critère secondaire d’efficacité était la survenue d’un AVC ischémique, d’une thrombose veineuse profonde et la mortalité totale. Les différentes localisations d’hémorragies sévères étaient également des critères secondaires de sécurité. La comparaison a concerné chacun des trois AOD vs la warfarine et les AOD entre eux.
→ L’analyse statistique a été scindée en deux selon l’indication de l’anticoagulation : FANV ou « autres indications » (y compris la prévention des TVP post-chirurgie de la hanche et du genou).
→ La posologie moyenne prescrite de chaque AOD a été considérée comme faible ou élevée selon qu’elle était inférieure ou supérieure à la posologie de l’AMM, soit 300 mg/j pour le dabigatran, 20 mg/j pour le rivaroxaban et 10 mg/j pour l’apixaban. L’analyse statistique a été faite à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel ajusté sur une multitude de facteurs confondants tous pertinents (mais pas nécessairement exhaustifs). Les résultats dans chaque cohorte (selon l’indication de l’anticoagulation) sont présentés en risque relatif (RR) ajusté sur les facteurs confondants avec son intervalle de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
Entre janvier 2011 et octobre 2016, 196 061 patients ont été inclus dans la cohorte : 53 % étaient atteints d’une FANV et 47 % ont reçu l’anticoagulant pour une autre indication. à l’inclusion, les groupes n’étaient pas strictement comparables selon le médicament reçu, aussi bien dans la population FANV que dans la population « autres indications ».
→ Dans la cohorte FANV (n = 103 270), 68 % des patients ont reçu de la warfarine, 5 % du dabigatran, 16 % du rivaroxaban et 10 % de l’apixaban. Dans cette sous cohorte, l’apixaban vs warfarine était associé à une réduction significative du risque d’hospitalisation ou de décès lié à une hémorragie : RR ajusté = 0,66 ; IC95 % = 0,54-0,79, et du risque d’hémorragie intracrânienne : RR ajusté = 0,40 ; IC95 % = 0,25-0,64. Il en était de même pour le dabigatran sur le risque d’hémorragie intracrânienne : RR ajusté = 0,45 ; IC95 % = 0,26-0,77. Toujours dans cette cohorte, le rivaroxaban était associé à une augmentation significative de la mortalité totale vs warfarine : RR ajusté = 1,19, IC95 % = 1,09-1,29, tout comme une faible dose d’apixaban (< 10 mg/j) : RR ajusté = 1,27, IC95 % = 1,12-1,45. Il n’y a pas eu de différence significative sur les AVC ischémiques (efficacité) entre les trois AOD et la warfarine, ni entre les AOD.
→ Dans la cohorte « autres indications » (n = 92 791), 66 % des patients ont reçu de la warfarine, 2 % du dabigatran, 23 % du rivaroxaban et 8 % de l’apixaban.
Dans cette cohorte, l’apixaban était associé à une réduction significative des hospitalisations pour hémorragie sévère vs warfarine : RR ajusté = 0,60 ; IC95 % = 0,46-0,79, et des hémorragies digestives : RR ajusté = 0,55 ; IC95 % = 0,37-0,83. De son côté, le rivaroxaban était associé à une réduction significative des hémorragies intracrâniennes : RR ajusté : 0,54 ; IC95 % = 0,35-0,82. Cependant, le rivaroxaban était corrélé à une augmentation significative de la mortalité totale vs warfarine : RR ajusté = 1,51 ; IC95 % = 1,38-1,66, tout comme une faible dose (< 10 mg/j) d’apixaban : RR ajusté = 1,34 ; IC95 % = 1,13-1,58.
Enfin, le rivaroxaban vs apixaban était associé à une augmentation significative des hospitalisations pour hémorragie sévère dans la population FANV : RR ajusté = 1,70 ; IC95 % = 1,40-2,06 et dans la population « autres indications » : RR ajusté = 1,55 ; IC95 % = 1,19-2,04. Dans cette dernière, il en était de même pour la mortalité totale : RR ajusté = 1,28 ; IC95 % = 1,13-1,46.
COMMENTAIRES
Julia Hippislex-Cox, dernière auteure de ce colossal travail biostatistique, est une grande spécialiste de l’analyse des bases de données britanniques dans lesquelles les informations issues des consultations des médecins généralistes participant aux réseaux de recherche en soins primaires (intégrés aux soins) sont recueillies. Ces bases de données ont peu d’équivalents dans le monde, sauf dans les pays scandinaves. L’avantage de ces bases est qu’elles contiennent des milliards d’informations quotidiennement et automatiquement collectées. Les deux principaux inconvénients sont que ces informations ne sont pas nécessairement complètes et validées et qu’elles ne répondent pas obligatoirement et exhaustivement aux questions posées par les chercheurs. Au total, ce genre de travail peut mettre en évidence des associations statistiques significatives, mais pas de lien de causalité, car les groupes ne sont pas comparables à l’inclusion et il est impossible d’ajuster l’analyse statistique sur tous les facteurs confondants. En résumé, les résultats observés dans ce travail sont probablement plus proches de la « vraie vie » des soins primaires que ceux des ERC, mais leur niveau de preuve est inférieur à celui des ERC bien conduits et correctement analysés (3).
→ Ce qu’il faut retenir de ce travail, c’est que la sécurité d’emploi de l’apixaban à dose AMM (10 mg/j) est meilleure que celle de la warfarine et qu’il n’y a pas de différence vs warfarine en termes d’AVC évités dans la population FANV, ce qui correspond assez bien à ce qui a été observé dans son essai randomisé (6) et la méta-analyse du NHS (5). L’autre information intéressante, c’est que le rivaroxaban ne semble pas être le premier choix quand il s’agit de prescrire un AOD, ce qui était également sous-tendu par le résultat de l’essai ROCKET-AF (7). Au total, les résultats de cette énorme étude sur bases de données sont globalement cohérents avec ceux des ERC purement expérimentaux.
→ En pratique, en cas d’indication à une anticoagulation chez un patient atteint de FANV ou de MTEV, la balance bénéfice/risque de l’apixaban (à la bonne posologie) est plus favorable que celle de la warfarine et des autres AOD, ce qui transparaît dans le dernier avis de la HAS (8).
BIBLIOGRAPHIE
1- Hart RG, Pearce LA, Aguilar MI. Meta-analysis: antithrombotic therapy to prevent stroke in patients who have nonvalvular atrial fibrillation. Ann Intern Med 2007;146:857-67.
2- National Institute for Clinical Excellence. Anticoagulants, including non-vitamin K antagonist oral anticoagulants (NOACs). Key therapeutic topic 2016;KTT16 https://www.nice.org.uk/advice/ktt16/chapter/Options-for-local-implemen…
3- Pouchain D. New oral anticoagulant drugs in patients with atrial fibrillation: lost in delusion? exercer 2012;103:177-82.
4- Pouchain D, Frappé P. New oral anticoagulant in venous thromboembolic disease: narrative review of randomized clinical trials. exercer 2018; sous presse.
5- Sterne JA, Bodalia PN, Bryden PA, et al. Oral anticoagulants for primary prevention, treatment and secondary prevention of venous thromboembolic disease, and for prevention of stroke in atrial fibrillation: systematic review, network meta-analysis and cost-effectiveness analysis. Health Technol Assess 2017;21:1-386. http://dx.doi.org/10.3310/hta21090
6- Granger CB, Alexander JH, McMurray JJV, & al. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:981-92.
7- Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, & al. Rivaroxaban versus warfarine in non-valvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011:365:883-91.
8- Haute autorité de santé. Avis de la commission de la transparence. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2826829/fr/eliquis?xtmc=&xtcr=8
Liens d'intérêts : aucun
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