1. Qu'est-ce que l’hypersensibilité au gluten ?
L’hypersensibilité au gluten non cœliaque (HGNC) est un syndrome défini par des symptômes intestinaux et extra-intestinaux qui, d’une part, apparaissent dans les heures et les jours suivant l’ingestion de gluten et, d’autre part, sont soulagés sous régime sans gluten (1). Le gluten est un complexe protéique gliadine-gluténine provenant du blé et utilisé pour ses propriétés de texture viscoélastique et de goût. Le terme « gluten » englobe habituellement d’autres protéines aux propriétés et structures similaires comme la sécaline (seigle) et l’hordéine (orge). 5 % de la population est concernée par le spectre des maladies liées au gluten : la maladie cœliaque, la dermatite herpétiforme, l’ataxie au gluten, l’allergie au blé et l’hypersensibilité au gluten non cœliaque.
La prévalence de l’HGNC reste incertaine, entre 0,5 % et 14,9 % de la population générale, à comparer au 1 % (sous-diagnostiqué) de la maladie cœliaque (2). L’HGNC affecte principalement les adultes entre 30 et 50 ans de sexe féminin (2). La cause de ce syndrome est indéterminée mais une activation du système immunitaire inné et une augmentation de la perméabilité intestinale ont été suggérées. Selon une étude rétrospective, une maladie auto-immune serait associée chez 29 % des patients avec hypersensibilité au gluten non cœliaque, comparé à 4 % dans le groupe contrôle (3), suggérant un mécanisme d’auto-immunité.
2. Quels symptômes doivent faire évoquer cette maladie ?
Si la présentation clinique de l’hypersensibilité au gluten non cœliaque est semblable à celle de la maladie cœliaque, elle s’en distingue cependant par l’absence d’atteinte histologique de la muqueuse intestinale.
Les signes de l’HGNC s’apparentent le plus souvent à un syndrome de l’intestin irritable, avec des douleurs abdominales ou épigastriques, des ballonnements, des diarrhées, parfois une stomatite avec aphtose buccale et une irrégularité de transit avec alternance diarrhée/constipation (4). Des symptômes sont partagés par l’HGNC et la maladie cœliaque, à la fois intestinaux (diarrhées, ballonnements, constipation, nausées, RGO) et extra-intestinaux (myalgie, arthralgie, neuropathie périphérique, ataxie cérébelleuse, encéphalopathie au gluten, céphalées, sensation de tête dans le brouillard). Des dermatites ou rashs aspécifiques semblables à la dermatite herpétiforme mais d’histologie différente s’améliorent à l’éviction de gluten (5).
3. Quels sont aujourd'hui les moyens diagnostiques ?
L’hypersensibilité au gluten non cœliaque ayant été découverte récemment (officiellement reconnue comme entité clinique en 2011), les critères diagnostiques et les biomarqueurs manquent encore. Lors de sa suspicion, une allergie au blé et une maladie cœliaque doivent être exclues.
L’allergie au blé correspond à une réaction allergique classique immunoglobuline E (IgE) médiée. L’ingestion de blé induit la synthèse d’IgE dirigés contre l’un de ses composants, ce qui stimule des cellules basophiles et mastocytes qui relarguent ainsi des médiateurs tels que l’histamine et les leucotriènes à l’origine d’une réaction anaphylactique plus ou moins importante.
Afin d’éliminer la possibilité d’une maladie cœliaque, la recherche d’anticorps doit être réalisée sous régime normal : anticorps IgA anti-tTG (anti-transglutaminase) associés à la mesure des IgA totaux sanguins. En cas de déficit d'IgA, les anticorps IgG anti-tTG doivent être dosés. Si l’un de ces tests est positif, la recherche d’anticorps IgA anti-endomysium (ou IgG en cas de déficit en IgA) peut y être associée.
En cas de sérologie positive (ou de sérologie négative chez des individus à haut risque : antécédent familial, suspicion clinique forte…), des biopsies duodénales (chez l’adulte, pas chez l’enfant) permettent d’observer l’hyperplasie des cryptes et une atrophie villositaire, typiques de la maladie cœliaque.
Les anticorps anti-transglutaminase (IgA et IgG) et anti-endomysium sont toujours négatifs dans l’HGNC.
Si une maladie cœliaque est écartée, afin de poser le diagnostic formel d’hypersensibilité au gluten non cœliaque, un régime excluant le gluten doit être introduit pendant six semaines (4). Puis, chez les patients ayant répondu à cette étape (amélioration ou disparition des symptômes), le gluten est réintroduit dans l’alimentation. Si les symptômes récidivent, cela signe une HGNC. Néanmoins, en pratique courante, cette étape, comme la précédente, est exceptionnellement réalisée bien qu’indispensable.
4. En quoi consiste la prise en charge de cette maladie ?
Le risque de complications malignes et de malabsorption étant absent, contrairement à la maladie cœliaque, le régime sans gluten – seul traitement à ce jour – n’est pas obligatoirement strict, avec plutôt un ajustement de la quantité de gluten ingérée en fonction des symptômes. Mais l’effet bénéfique d’un tel régime sur les symptômes serait possiblement lié à l’arrêt conjoint de la prise d’hydrates de carbone fermentescibles et polyols (FODMAP : Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides And Polyols) contenus dans les céréales, indissociables du régime sans gluten (6). Contrairement à la maladie cœliaque, la surveillance clinique, biologique et histologique n’est pas nécessaire en cas d’HGNC.
5. Quelles sont les principales différences physiopathologiques entre la maladie cœliaque et l’hypersensibilité au gluten ?
Le rôle de l’immunité innée et adaptative dans la maladie cœliaque est le suivant : en plus du passage de la barrière intestinale favorisée par une perméabilité intestinale augmentée, l’exposition apicale au gluten entraîne une production d’interleukines 15 et d’autres cytokines par les entérocytes, ayant pour effet d’activer des cellules dendritiques et une expression de phénotype de type Natural Killer (NK) des lymphocytes T intra-épithéliaux stimulés contre les entérocytes (7). De plus, parvenus jusqu’au chorion, les fragments de gluten sont exposés par les cellules présentatrices d’antigènes via le complexe HLA-DQ2/DQ8 (présent chez 100 % des cœliaques ; 30 % dans la population générale) aux cellules T CD4+. En conséquence, des anticorps vont être synthétisés par les lymphocytes B du chorion et dirigés contre le gluten natif, le gluten déamidé et la transglutaminase (8). Cette situation va induire l’atrophie villositaire et l’hyperplasie des cryptes.
En revanche, dans l’hypersensibilité au gluten non cœliaque, l’immunité adaptative n’est pas activée, d’où l’absence d’anticorps spécifiques et d’atrophie villositaire intestinale. La présence accrue de lymphocytes et d’éosinophiles avec augmentation de cytotoxiques inflammatoires et modification des protéines des jonctions serrées a néanmoins été mise en évidence (8), ainsi qu’une élévation sérique d’anticorps réagissant à certains antigènes bactériens et d’un marqueur d’atteinte entérocytaire. Ceci suggère une activation systémique de l’immunité secondaire à une perméabilité de la barrière intestinale augmentée. Cette activation pourrait expliquer la présence de symptômes extra-intestinaux. À noter que d’autres protéines, comme l’inhibiteur de l’amylase/trypsine (IAT) (9) et les FODMAP (cf. plus haut), pourraient également induire des symptômes gastro-intestinaux.
Hélène Joubert (rédactrice), avec le Pr Christophe Cellier (service de gastro-entérologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris)
BIBLIOGRAPHIE
1. Chatelanat O, Khater S, Cellier C. Maladie cœliaque et hypersensibilité au gluten non cœliaque : comment les différencier ? Hépato-gastro et oncologie digestive 2022 ; 29 : 927-934.
2. Cárdenas-Torres FI, Cabrera-Chávez F, Figueroa-Salcido OG,
Ontiveros N. Non-celiac gluten sensitivity: an update. Medicina 202; 57: 526.
3. Carroccio A, D’Alcamo A,
Cavataio F, et al. High proportions of people with nonceliac wheat sensitivity have autoimmune disease or antinuclear antibodies. Gastroenterology 2015; 149: 596-603.e1.
4. Catassi C, Elli L, Bonaz B, et al. Diagnosis of non-celiac gluten sensitivity (NCGS): the salerno experts’ criteria. Nutrients 2015; 7: 4966- 77.
5. Bonciolini V, Bianchi B, Del
Bianco E, Verdelli A, Caproni M. Cutaneous manifestations of non-celiac gluten sensitivity: clinical histological and immunopathological features. Nutrients 2015; 7: 7798-805.
6. Biesiekierski JR, Peters SL, Newnham ED, et al. No effects of gluten in patients with self-reported non-celiac gluten sensitivity after dietary reduction of fermentable, poorly absorbed, short-chain carbohydrates. Gastroenterology, 04 May 2013, 145(2): 320-8.e1-3.
7. Mention JJ, Ben Ahmed M, Bègue B, et al. Interleukin 15: a key to disrupted intraepithelial lymphocyte homeostasis and lymphomagenesis in celiac disease. Gastroenterology 2003; 125: 730-45.
8. Uhde M, Ajamian M, Caio G, et al. Intestinal cell damage and systemic immune activation in individuals reporting sensitivity to wheat in the absence of coeliac disease. Gut 2016; 65: 1930-7.
9. Junker Y, Zeissig S, Kim SJ, et al. Wheat amylase trypsin inhibitors drive intestinal inflammation via activation of toll-like receptor 4. J Exp Med 2012; 209: 2395-408.
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