Il y a 15 jours à peine, dans l’État de New York, suite à un « mouvement massif », les infirmières ont « obtenu des ratios de soignants par patients », s’est réjoui hier mercredi le Dr Bernard Jomier. Une heure et demie plus tard, le sénateur socialiste de Paris réussit à faire adopter, en première lecture, sa proposition de loi (PPL) relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé à une large majorité : 257 voix pour issues des groupes socialistes, communistes, centristes et LR, 16 voix contre et 64 abstentions.
Les sénateurs ont donc été convaincus par les arguments du Dr Jomier qui estime que l'institution de tels ratios, pour chaque spécialité et type d'activité de soin, contribuera à « rendre à l’hôpital son attractivité ». Le sénateur a également évoqué les résultats d'une enquête de l’Agence pour l’emploi des soignants menée en 2022 auprès des intérimaires. Celle-ci montre que les critères principaux à l’origine de la décision de quitter ou de revenir à l’hôpital « ne concernent pas la rémunération, mais l’adaptation des plannings et un ratio infirmier par patient cohérent », observe Bernard Jomier.
Résultats positifs dans d'autres pays
Autre argument de poids : les pays ayant institué des ratios de soignants par nombre de patients (Australie, Californie, Irlande, etc.) ont connu de bons résultats, selon le généraliste parisien : « Une amélioration de la qualité des soins, moins de complications, des hospitalisations plus courtes, moins d’infections nosocomiales et d’erreurs médicamenteuses. » Le dispositif aurait également des effets positifs sur le plan économique, car « l’augmentation des effectifs est plus que compensée par les coûts évités sur les complications et les durées hospitalisations », défend le Dr Jomier.
Pour résumer : « Aucun motif technocratique ne peut justifier le refus de ratios conformes aux enjeux de qualité et de sécurité des soins, quand ceux qui les refusent appliquent sans états d’âme des ratios financiers insupportables pour les soignants », revendique le sénateur.
Un texte amendé
La commission des affaires sociales du Sénat avait amendé le 26 janvier la proposition de loi, en intégrant « la nécessaire progressivité des ratios et leur adaptation aux spécificités des établissements et leurs spécialités », rappelle le sénateur.
Une entrée en vigueur progressive du nouveau dispositif est prévue pour permettre à la HAS de se préparer d'ici au 31 décembre 2024. Le ratio serait ensuite établi par décret, pris après l'avis de la HAS. Le gouvernement disposerait de deux ans supplémentaires pour établir des ratios réglementaires, mais aussi engager les dynamiques de recrutements et de soutien budgétaire pour accompagner les établissements. Enfin, la création de nouveaux « ratios de qualité » tiendrait compte des conditions d'exercice des personnels soignants, mais aussi de la spécialisation de l'établissement ou de sa taille.
Mais ces aménagements n’ont pas suffi à lever les réticences du gouvernement. Si l’intention de la PPL est « tout à fait légitime », son adoption risquerait d'« affaiblir la réponse aux besoins de santé de nos concitoyens », a mis en garde Agnès Firmin Le Bodo. La ministre déléguée chargée des professions de santé a martelé son opposition à « l’établissement de ratios fixes sur une base nationale » par la HAS.
De « la coercition » pour le gouvernement
« Même en raisonnant par spécialité ou par type d’activité, les besoins de chaque service ne seront jamais les mêmes au même moment », estime la ministre. Celle-ci est persuadée que « la coercition n’est pas un mode de résolution des problèmes dans les territoires » où les solutions doivent se construire « localement, à partir de la charge en soins constatée et des leviers disponibles pour y répondre ». Selon elle, la « rigidité intrinsèque » des ratios « serait de nature à aggraver les problèmes qu’ils entendent résoudre ». Leur institution conduirait même « inévitablement à des réorganisations de l’offre de soins, avec les effets collatéraux nécessitant des rappels de personnels,des fermetures de lits », voire des fermetures de services, estime Agnès Firmin Le Bodo.
Ce n’est pas l’avis de la rapporteure Laurence Rossignol (PS). Celle-ci réfute l’idée que cette initiative puisse conduire à des fermetures de lit, comme c'est déjà le cas par manque de personnel. Ces ratios ont vocation à « fixer des cibles à atteindre », « enclencher une dynamique » et « visent à rétablir les capacités de l'hôpital en faisant revenir les soignants », estime la sénatrice.
Réactions partagées
Un point de vue partagé par le collectif inter-hôpitaux (CIH) qui a salué l’adoption en première lecture du texte qui permettrait « d’améliorer les conditions de travail et d’accueil à l’hôpital pour la sécurité des patients et l’attractivité des métiers du soin. » Le CIH souligne que les soignants veulent « garder le sens de leur métier, (…) prendre du temps pour l’humain et sortir d’une logique de flux délétère pour tous ».
De son côté, le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) estime qu’il est « impératif de fixer des ratios au lit de présence infirmière dans tous les services » pour fidéliser et recruter. Une garantie de niveau de soins qui ne doit pas être « tributaire des compressions budgétaires, avec un Ondam inférieur de moitié au besoin des hôpitaux ».
Effets paradoxaux
« Nous ne sommes pas défavorables à la proposition de loi Jomier qui a le mérite d’ouvrir le débat et de mettre les choses sur la table » a commenté, pour sa part, mercredi Arnaud Robinet, le président de la FHF. La Fédération a cependant exprimé plusieurs « points de vigilance » par rapport à ce texte et souhaite que les ratios, s’ils devaient être mis en place, concernent également les cliniques. « Il faudrait aboutir à une méthode opérationnelle qui ne conduise pas à des effets paradoxaux négatifs, a ainsi mis en garde Vincent Roques, directeur de cabinet de la FHF. Nous devons augmenter les cibles de professionnels de santé sans instituer un système qui pourrait conduire localement à des fermetures de lits ou de services si on l'appliquait trop tôt. »
La FHF estime également que la diversité des établissements implique un « certain degré de finesse » dans les ratios. Ces derniers auraient également pour corollaire « une forme de comitologie à l'échelle des établissements et des validations au sein des différentes commissions médicales et médico-soignantes ainsi qu'un système de signalement », en cas de non atteinte des ratios.
Le texte a été transmis à l'Assemblée nationale et devrait être examiné dans les prochaines semaines.
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