Le point de vue du Dr François Braun

La régulation médicale, clé de voûte de notre système médical d’urgence.

Publié le 25/06/2021
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Les urgentistes réclament depuis longtemps un numéro santé commun à l'hôpital et à la ville, mais récusent l'idée d'un numéro unique à tous les services de secours. Leur chef de file explique pourquoi, à l'heure où se développent les services d'accès aux soins (SAS), un tel schéma de réorganisation de la régulation médicale est indispensable.

Depuis plus de 50 ans, la régulation médicale a façonné l’organisation sanitaire en construisant des parcours de soins adaptés pour toutes les urgences vitales, fonctionnelles voir ressenties. Ce n’est pas au patient de savoir si son urgence est immédiate ou différable mais au médecin de le définir avec lui et de lui proposer une prise en charge sur mesure et non un transport systématique à l’hôpital le plus proche par une équipe de secouristes.

D’abord réservée aux urgences les plus graves, la régulation médicale s’est étendue à des demandes de soins relevant aussi de la médecine générale, preuve de son efficacité. L’insuffisance de l’offre de soins libérale comme hospitalière, l’évolution sociétale privilégiant l’immédiateté, l'ont rendue nécessaire. Le développement des téléphones portables l’a rendu possible.

Notre objectif commun reste de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens, a fortiori dans l’urgence, tout en préservant le système d’un engorgement aux conséquences désastreuses. Loin d’être has been, la régulation médicale est d’une modernité absolue comme en témoigne le développement du Service d’accès aux soins (SAS) réclamé par les usagers-patients. Elle intègre l’ensemble des parcours de soins et combat, grâce à une coopération équilibrée ville/hôpital, le raisonnement en silos, n’en déplaise aux inconditionnels du tout libéral ou du tout hospitalier.

La régulation médicale ne se conçoit qu’avec un accès direct du patient au système de santé. Tout intermédiaire non-santé entre le patient et l’analyse médicale entraîne un engagement inapproprié de moyens, une saturation du système de soins, une perte de temps et donc une perte de chance pour le patient. Nos concitoyens ne s’y trompent pas le 15 étant depuis longtemps le numéro d’urgence recevant le plus grand nombre d’appels, un toutes les secondes. D’ailleurs plus de 70 % de tous les appels sur les numéros d’urgence en France concernent la santé.

Santé, secours et sécurité sont des piliers essentiels de notre société mais s’ils travaillent tous dans l’urgence cela ne veut pas dire que leurs missions, leurs objectifs, leurs fonctionnements soient identiques : ces services, si nécessaire, travaillent ensemble mais chacun avec ses compétences, son expertise, ses responsabilités.

Imposer que tous se retrouvent sous l’autorité du ministère de l’Intérieur crée un amalgame, arbitrairement construit, responsable des discussions actuelles sur un numéro d’urgence unique « fourre-tout ». Outre les dangers techniques évidents d’un numéro unique (la récente panne tragique du réseau Orange©), un premier décroché par un agent non spécialisé aura des conséquences néfastes pour les filières d’aval, police, SAMU ou pompiers.

De nombreuses contre-vérités

Sur ce numéro, de nombreuses contre-vérités sont propagées : Ainsi, le 112 (très peu utilisé en France) n’a jamais été imposé par les instances européennes autrement que pour permettre aux Européens en itinérance de disposer d’un numéro international d’appel « police-pompiers-ambulance ». Non, les urgences reçues au SAMU ne représentent bien évidemment pas que 5 % des appels (proportion de ceux réclamant l’engagement d’une équipe de SMUR). Non, la régulation médicale ne fait pas perdre de temps. Les SAS aujourd’hui ouverts montrent que plus de 95 % des appels sont décrochés en moins de 30 secondes et que l’engagement d’une ambulance ou d’un SMUR n’attend pas la fin de l’entretien entre le médecin et le patient.

La liste est encore longue de ces contre-vérités assénées avec assurance par ceux qui, malgré la crise que nous vivons encore, n’ont toujours pas compris qu’en urgence il est primordial de collaborer entre services plutôt que de vouloir commander tout le monde.

Ces raisons nous poussent à défendre une organisation médicale regroupée autour d’un numéro d’urgence santé commun, interconnecté avec un numéro police-secours et non une organisation hétérogène sous la coupe d’un numéro unique.

Ne prenons pas enfin nos concitoyens pour des enfants immatures : informés, ils sont à même de faire la différence entre un problème de santé et un besoin de secours-sécurité. Vouloir à tout prix copier des modèles étrangers obsolètes, inadaptés voir inégalitaires, ne témoigne pas de la hauteur de vue indispensable pour répondre aux attentes de notre société : cette volonté hégémonique d’un numéro d’urgence unique est dépassée. Nous préférons développer d’autres canaux de communication comme les SAS sont en train de le faire, et utiliser intelligemment les outils numériques pour développer les espaces virtuels d’échanges communs aux services chargés des soins, des secours et de la sécurité.

Merci d’ouvrir enfin ce débat en toute transparence, en toute clarté et en toute honnêteté.

Exergue : Ne prenons pas nos concitoyens pour des enfants immatures : ils sont à même de faire la différence entre un problème de santé et un besoin de secours-sécurité

Dr François Braun, Président Samu-Urgences de France, Chef du service urgences du CHR Metz-Thionville

Source : Le Quotidien du médecin