Retour d’expérience de Turquie

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Publié le 09/06/2023
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Prendre en compte les besoins sur place, s’insérer dans le maillage de la carte sanitaire locale et travailler avec les acteurs locaux sont les trois clés de la réussite d’une mission médicale de catastrophe.
L’hôpital a été implanté en moins de 36 heures

L’hôpital a été implanté en moins de 36 heures
Crédit photo : AFP

À la suite du séisme du 6 février 2023 en Turquie, d’une amplitude de 7,8 dans une zone montagneuse, plusieurs équipes de sauvetage-déblaiement françaises sont engagées pour prendre en charge les blessés extraits des décombres. Après discussion avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), les autorités compétentes en France, en Turquie et en Europe, il est également décidé de déployer l’Escrim (Élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale), l’hôpital de campagne de la sécurité civile classifié EMT-2 (emergency medical team de niveau 2) par l’OMS. À cet effet, une première équipe est déployée sur place le 10 février. « Composée d’un chef de détachement, d’un médecin, d’un logisticien et d’un traducteur, elle avait pour mission de reconnaître les zones d’implantation potentielles de l’hôpital de campagne et d’évaluer son intégration au tissu sanitaire local. C’est finalement la ville de Gölbaşi, située à 900 mètres d’altitude, qui a été retenue, en lien avec les autorités locales », précise le médecin en chef (MC) Romain Kedzierewicz (Unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile n° 7 [UIISC7] de Brignoles).

En effet, l’hôpital d’infrastructure était alors fermé, avec la présence d’un équivalent d’EMT-1 turque, composé de deux tentes de soins montées devant l’hôpital fermé. Après le tremblement de terre, Gölbaşi ne comptait plus que 10 000 à 15 000 habitants.

Conditions climatiques difficiles

« Nous sommes arrivés sur site le 12 février avec l’EMT-2 complet, composé de trois détachements (un d’appui logistique [DAL], un d’appui chirurgical [DAC] et un d’appui médical et d’hospitalisation [DAMHo]) composant l’Escrim. L’objectif était de gérer un flux d’accueil d’urgence 24 h/24, 7j/7, avec deux blocs opératoires, un service de soins continus de 84 lits, un pôle mère-enfant, un plateau technique et 80 lits d’hospitalisation conventionnelle. Le staff complet de l’Escrim comprenait 90 personnes, dont 11 urgentistes, deux anesthésistes, deux chirurgiens, un pharmacien, un psychologue, une sage-femme, 12 IDE, trois infirmières anesthésistes, deux IDE de bloc opératoire, un technicien de laboratoire, un technicien en radiologie, 14 paramédicaux, etc., ainsi qu’un médecin Turc pour nous aider à prendre en compte les aspects éthiques et nous aider dans les transferts interhospitaliers. Cela représente également 60 tonnes de matériel (affrétés par deux avions). Nous sommes arrivés sur zone de nuit et par — 12 °C avec de la neige, de la glace. Dans l’immédiat, il nous a fallu monter la structure, chauffer les zones d’accueil du public et les zones techniques pour que les machines fonctionnent, sur une zone en terre qui devient rapidement boueuse, d’où la nécessité de faire ramener des graviers. En moins de 36 heures, l’implantation complète a pu être effective », rapporte le MC Kedzierewicz. La mission a duré un mois (20 jours d’activité clinique).

Plus de médecine que de chirurgie

« Nous avons ouvert à une semaine du séisme et avons initialement reçu deux types de populations, poursuit le MC Kedzierewicz : soit des décompensations de pathologies chroniques, notamment respiratoires, soit des patients ayant reçu des premiers soins sommaires prodigués par l’EMT-1, mais nécessitant une réévaluation grâce au plateau technique pour avoir une réponse plus adaptée. Notre bilan est de 2014 passages aux urgences et de 24 hospitalisations. La part des pathologies traumatiques étaient d’environ 20 %, celle des pathologies infectieuses de 20 % également, et 25 % étaient des urgences médicales tout-venant, mais il y a eu finalement peu d’actes chirurgicaux (23 interventions en tout, principalement des pansements complexes, une péritonite stercorale et une hernie inguinale), même si la présence des chirurgiens a été précieuse pour donner d’autres avis. »

Le faible nombre d’actes de chirurgie s’explique par la présence d’autres hôpitaux avec des infrastructures en dur toujours en activité à une heure de Gölbaşi et des capacités de transfert faciles. « De plus, les traumatisés sortis des décombres avaient déjà été pris en charge avant notre installation à J7. Au vu des besoins et après réévaluation, nous avons finalement adapté la structure, en fermant les tentes d’hospitalisation en secteur conventionnel et en regroupant les patients hospitalisés dans la tente des soins continus. Cela a permis de mieux prendre en charge les décompensations respiratoires sur des lits de meilleure qualité à dossier réglable, permettant la position demi-assise. Cela a aussi permis de réallouer les canons à air chaud des tentes d’hospitalisation vers le plateau technique, moins bien chauffé jusqu’alors », explique le MC Kedzierewicz.

Au-delà de 48 à 72 heures d’hospitalisation, un transfert secondaire était envisagé dans un hôpital où les possibilités de soins étaient encore meilleures (mise au fauteuil, matelas anti-escarres, etc.). Le recours au plateau technique (accès à la radiologie, à la biologie et à l’avis expert du chirurgien) offert par l’EMT-2, et qui manquait à l’EMT-1, a été important sur la première quinzaine, puisque 70 % des patients en ont bénéficié. « Avoir tout de suite réussi à s’insérer dans le maillage de la carte sanitaire locale restera le point fort positif de cette mission », conclut le MC Kedzierewicz.

Exergue : Le staff complet comprenait 90 personnes, dont 11 urgentistes

Entretien avec le MC Romain Kedzierewicz (UIISC7 de Brignoles)

Dr Nathalie Szapiro
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Source : Le Quotidien du médecin