La maternité était au dixième étage du bâtiment principal et elle était desservie par des ascenseurs express et réservés qui la protégeaient contre toutes sortes de risques. Entre le moment où les parents arrivaient à l'accueil au rez-de-chaussée et celui où la future mère était installée dans sa chambre au dixième, il ne s'écoulait que quelques minutes. C'était vraiment une organisation très efficace.
Très sécurisante aussi. C'est en tout cas ce que s'étaient dit les parents du futur petit Kiloï en choisissant cette maternité.
Il n'y avait pas vraiment le choix, évidemment, puisque c'était la seule de la ville. Ils auraient pu déménager et aller dans la ville d'à côté. Mais à quoi bon ? Toutes les maternités étaient gérées par la Compagnie. Et puis ils aimaient bien cette ville, c’est là qu’ils s’étaient rencontrés. Tout le monde connaissait les maternités de la Compagnie, et bien peu de gens choisissaient d’autres solutions. La médecine robotisée qu’on y pratiquait était très sûre, les robots médecins étant ici encadrés par des humains compétents. Les parents qui faisaient un autre choix étaient marginalisés, et leurs enfants encore plus. Mais les parents du futur petit Kiloï étaient tout sauf des marginaux. Ingénieurs tous les deux, ils étaient fiers de leur premier enfant, même avant sa naissance.
Ils savaient bien sûr depuis le début que leur enfant serait un garçon, et ils lui avaient déjà choisi un nom compatible avec son profil et son évidente future carrière d’ingénieur. Cela ne faisait aucun doute. Il arrivait bien de temps en temps qu'un enfant naisse sans être conforme à la commande faite lors de la conception, mais c'était devenu très rare avec les années et cela se limitait la plupart du temps à une couleur des yeux un peu différente, ou à des cheveux plus bouclés que prévu. Jamais d'erreur sur les capacités intellectuelles, naturellement. C'était trop important pour la Compagnie et sa planification. Les médecins qui avaient préparé la conception et suivi les parents de Kiloï pendant la grossesse étaient très compétents. Ils avaient été formés par la Compagnie.
43 minutes après leur installation, Kiloï naissait. Après un examen complet du bébé, le directeur les félicita pour avoir suivi un processus en tout point conforme aux prévisions, et il leur donna leur billet de sortie. Les deux parents rayonnaient.
Ils reprirent l'ascenseur express pour le rez-de-chaussée, passèrent à la caisse pour toucher leur indemnité et repartirent chez eux en taxi, offert par la Compagnie. Il ne leur restait plus qu'à attendre l’appel de la Compagnie pour le prochain enfant, puisque tout s'était bien passé et dans les délais. La mère se reposa un peu, car malgré les progrès de la médecine, l’accouchement était toujours un peu fatigant. Le père se mit au travail devant son écran, mais déboucha tout de même une bouteille d'alcool instantané.
Kiloï, lui, n’était certainement pas reparti avec ses parents biologiques, ce qui aurait été hautement scandaleux ! Et la Compagnie n’aimait pas le scandale. Il avait été prouvé depuis longtemps que les bébés s’épanouissaient parfaitement dans les conditions précises que la science avait déterminées et que la Compagnie avait instaurées comme règles intangibles. Et ces conditions n’incluaient pas la présence des parents biologiques. Même la première tétée avait été remplacée par du colostrum de synthèse, bien plus performant.
Kiloï dormait. Au onzième étage, comme tous les nouveau-nés jusqu'à ce qu'ils soient en âge de marcher.
Prochain épisode dans notre édition du 13 juin
Georges Malamoud, né en 1954, est un normalien scientifique, et aussi un menuisier et un blogueur. C’est en blogguant chaque jour qu’il a pris goût à l’écriture. Georges est également un amoureux et un acteur de la francophonie internationale dans toute sa diversité.
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