Sous les yeux

#2 Un crime parfait ?

Publié le 18/01/2018

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Le lieutenant Merlot devait son surnom de cabourut à ses origines béarnaises. Tous ses collègues s’accordaient sur le fait qu’il avait bel et bien la « tête dure », mais reconnaissaient aussi que ça pouvait être une qualité, qui lui avait objectivement valu de venir à bout de pas mal d’enquêtes complexes. Seulement voilà, dans une carrière de flic, la vie était loin d’être un long fleuve tranquille, et Merlot avait fini par tomber sur un os en la personne du Professeur Raynaud.

Une sorte de Docteur Jekyll et Mister Hyde qui n’avait visiblement commis aucune erreur dans l’exécution de son plan machiavélique visant à se débarrasser de sa femme. Merlot en était convaincu, sauf que pour réussir à coincer le génial docteur, il lui manquait à peu près tout, à commencer par le cadavre.

Parce qu’il fallait bien appeler un chat un chat : Merlot en aurait mis sa main à couper, à l’heure qu’il était, la pauvre Mathilde Raynaud n’était certainement pas en train de danser la lambada sur une plage de Copacabana.

Quant aux éventuels indices, le jeune lieutenant était également bien obligé de reconnaître qu’il n’en avait pas la queue d’un. Bien sûr, Raynaud avait été entendu comme témoin au début de l’enquête ; bien sûr, il l’avait prévu, le perfide. Les statistiques ne montrent-elles pas que dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, le coupable, quand coupable il y a, est toujours un proche de la victime ? Raynaud n’était pas né de la dernière pluie. Il avait été parfait.

D’abord incrédule, puis inquiet, assommé, déprimé, désespéré, et enfin résigné, Martin avait joué en virtuose sur la palette des émotions, à tel point que son absence d’alibi le soir de la disparition de sa femme n’avait finalement pas pesé bien lourd. Des disparitions subites et volontaires, il y en avait tous les jours, avait conclu le juge, sensible au charisme du docteur.

— Je vous dis que c’est lui qui a fait le coup ! tempêtait Merlot.

— Alors trouvez-moi une preuve ! tonnait le magistrat en martelant son bureau. Mais je persiste à penser que cet homme ne ment pas. D’ailleurs, l’enquête de proximité l’a montré : tous ses collègues répètent en chœur qu’il est droit et consciencieux dans son travail, un brin maniaque, c’est vrai, mais vous admettrez que c’est aussi une qualité, surtout chez un professeur qui enseigne la médecine ! Et le couple qu’il formait avec Mathilde n’était certes pas un modèle de nirvana amoureux, mais si on devait enfermer tous les maris dont la vie amoureuse ressemble à un encéphalogramme plat, il nous faudrait les budgets de l’armée américaine, russe et coréenne réunis !

Heureusement que le juge Meyer n’avait jamais songé à une carrière de comique, avait ironisé le lieutenant en lui-même.

Pour l’heure, Merlot pensait surtout qu’il y avait forcément une faille dans le système de pensée du professeur Raynaud, et il ne lui restait qu’une semaine avant que l’affaire ne soit définitivement classée. Évidemment, il s’était bien gardé de communiquer cette information au docteur, lorsqu’il lui avait laissé un message la veille sur sa boîte vocale. En mentionnant simplement la clôture imminente de l’enquête, il espérait que l’annonce choc produirait, chez celui qui se croyait intouchable, un soulagement voire un relâchement de l’attention. Et là, il serait prêt, en embuscade, à bondir.

De toute façon, le lieutenant n’avait plus le choix. Il allait la jouer sangsue, à la manière de Columbo.

— Je vais devenir l’ombre de ton ombre, murmura Merlot en refermant le lourd dossier.

Céline Santran : Professeure d’anglais et auteure, Céline Santran a délaissé les salles de classe pour se consacrer à l’écriture. Elle a récemment publié une série policière, « Enquêtes en Béarn » (Editions du 38, à paraître en 2018 en numérique chez France Loisirs).

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