Judith sortit du studio en marchant d’un pas rageur. Elle le savait ! Elle l’avait toujours su, mais elle s’était laissé berner comme les autres. Quand elle repensait à la voix ténue de Jonathan… Elle s’en voulait d’avoir baissé les bras. D’avoir accepté les IA, d’avoir participé à leur développement. Oh, c’était bien joli de dire qu’elle travaillait à l’amélioration des bases de données utilisées par les IA, mais quand la vie d’un enfant était en jeu, elle ne pouvait plus se trouver d’excuses.
— Judith ! l’appela Fabian en sortant à son tour du studio. Calme-toi, ça ne sert à rien !
À ces mots, la jeune femme pila net, et fit volte-face, furieuse.
— Il a une méningite bactérienne ! gronda-t-elle. Même s’il survit, il risque de graves séquelles neurologiques… Et il est peut-être trop tard pour qu’il survive ! Il va crever à cause de ces maudits robots et moi je me suis résignée à ne rien faire !
— Ce n’est pas ta faute, protesta Fabian d’une voix calme. Reprends-toi, respire…
— Tu ne comprends pas, plaida Judith d’un ton désespéré. Pourtant tu devrais, toi qui luttes pour une médecine humaine… Je ne suis pas en colère juste parce que sa maladie n’a pas été détectée à temps, je suis en colère parce qu’il n’a jamais été vacciné – et ça, un vrai médecin ne l’aurait jamais laissé passer ! Mais avec un logiciel… On clique sur la petite croix sans lire les conditions d’utilisation, on oublie de penser aux conséquences, jusqu’à ce qu’il soit trop tard !
Fabian resta silencieux. Oui, il comprenait. Avant l’arrivée des robots, il avait travaillé sur l’effet placebo pour essayer de comprendre comment des médecines douces comme l’homéopathie pouvaient avoir un effet sur la santé humaine. En tant que psychologue, la réponse lui semblait évidente, mais elle ne l’était pas pour tout le monde. Alors, quand l’Assemblée Nationale avait autorisé les logiciels de santé, il s’était lancé dans un nouveau combat, pour une médecine humaine et éthique.
Parce que c’était là le problème des intelligences artificielles : tout en elles était artificiel. Une IA ne donnait pas un diagnostic en cherchant à guérir son patient, elle le faisait parce qu’elle avait été programmée pour. Elle n’avait pas d’empathie ou de conscience, elle ne ressentirait aucune culpabilité après une erreur de jugement. Elle ne demandait pas l’avis d’un confrère, juste pour être sûr, car son confrère à elle suivait exactement le même cheminement, programmé par des lignes et des lignes de code.
Alors Fabian se contenta de suivre Judith et de monter avec elle dans le taxi qui les emmènerait au centre hospitalier où était soigné Jonathan. Il se contenta de lui serrer la main et de lui offrir un mouchoir quand elle se mit à pleurer. Il garda le silence jusqu’à ce qu’ils se présentent à l’accueil de l’hôpital et qu’ils se rendent compte tous les deux qu’ils ne savaient pas quoi dire. Comment pouvaient-ils décemment demander à voir l’enfant ? À peine deux heures plus tôt, songèrent-ils amèrement, ils faisaient les guignols sur un plateau de radio, et maintenant ils étaient là, à vouloir venir au chevet d’un garçon qui allait peut-être mourir parce qu’ils avaient laissé passer quelque chose que leur instinct de médecin leur avait dit de combattre.
C’était comme de voir partir un patient sans être sûr de son diagnostic, avant de décider de lui courir après pour procéder à une dernière vérification. Allaient-ils le rattraper à temps ?
Prochain épisode dans notre édition du 25 octobre
Maïa Acklins écrit depuis 2015 sur Short Edition et depuis 2010 dans ses cahiers de brouillon. Aujourd’hui étudiante en Grande Ecole de commerce, elle aimerait bien réussir à terminer un roman... un jour.
Avec la collaboration de
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