Un été entre la vie et la mort

#4 Les masques tombent

Publié le 28/09/2017
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Sixième séance de chimio. L’équipe médicale qui suit Florence effectue les gestes habituels. Docile, elle tente de sourire et ironise sur ses cheveux « morts au champ de bataille ».

— Ils ressusciteront, n’ayez crainte, lorsque le traitement sera terminé. Cependant les progrès ne sont pas vraiment au rendez-vous. Les métastases résistent et gagnent du terrain.

 

Lors de l’entretien avec la psychologue, cette dernière interroge Florence, avec le plus de délicatesse possible, afin de déterminer si elle a rédigé des directives anticipées et désigné une personne de confiance « pour le cas où ». La réponse fuse sans hésitation : « Oui, mon mari, il m’en a convaincue. »

 

De fait Simon, au retour de son escapade avec Béatrice, s’était employé à convaincre Florence de la nécessité de prendre « toutes dispositions » pour lui éviter une fin de vie dégradante.

— On dirait que tu es pressé de te débarrasser de moi, a souri Florence, mi-ironique, mi-triste.

— Enfin, chérie, comme tu y vas. Non, mais je te trouve assez mauvaise mine. Le traitement, n’est-ce pas ?

Et ainsi, jour après jour, Simon conduit un insidieux travail de sape. Les contre-feux de Fabienne, l’amie infirmière, restent vains. Florence, sous le regard implacable de son époux, se voit maigrir, pâlir, n’avoir plus la force de marcher, bientôt plus de force du tout. Sans cesse, sous tous les prétextes, Simon laisse entendre que la maladie gagne invinciblement du terrain.

 

— Tu vas trop loin, proteste parfois Béatrice.

— Voyons, je ne l’empoisonne pas ! Je l’accompagne, rétorque Simon, peu enclin à compatir au sort de celle qu’il considère désormais comme un obstacle à sa « nouvelle vie ».

Tout à ses fantasmes, il ne prête pas attention aux inquiétudes de Béatrice, pourtant de plus en plus partagée entre passion et culpabilité. Elle ne reconnaît plus l’amant vif, attentionné, généreux de l’été au Cap Ferret.

 

À l’hôpital, l’équipe médicale a décidé de prolonger les séances de chimio. Épuisée, Florence réagit par un flot de larmes et de sanglots ; on s’empresse autour d’elle.

 

À ce moment-là Simon, dans un sursaut de lucidité, perçoit la monstruosité de son attitude. Il la serre dans ses bras, lui chuchote des tendresses, la berce. Les pleurs se tarissent et, soudain, mue par une force inattendue, Florence repousse son mari :

— Arrête, sale hypocrite, tu veux ma mort, je le sais ! Tu n’attends que ça pour t’éclater avec cette garce de Béatrice !

Discrètement, on se retire pour permettre au couple de se ressaisir.

 

Ce sera pourtant l’un de leurs derniers échanges. L’état de santé de la malade empire brutalement. L’équipe s’emploie du mieux possible à atténuer les douleurs ; Florence, sous l’effet de la morphine, s’évade du quotidien.

Les derniers moments sont terribles. La douleur galope et ne se laisse plus arrêter par les antidouleurs. Les directives anticipées dont Simon est le garant sont claires : tout doit, tout va s’arrêter.

 

Lorsqu’il retrouve Béatrice, il est incapable de parler d’autre chose que du calvaire de son épouse. Erratique, il déverse sa culpabilité et dans le même temps quémande des caresses et des mots, pour se rassurer :

— Dis-moi que tu m’aimes. Dis-moi qu’elle ne s’est rendu compte de rien…

— Simon, arrête, mais arrête !

Béatrice, désemparée mais enfin lucide, se dégage brutalement :

— Tu n’es qu’un sale égoïste. Comment peux-tu croire qu’elle n’a rien compris ? Comment ai-je pu accepter d’être complice de ta lâcheté ? « L’amour rend aveugle », c’est ça ? Eh bien c’est fini ! Je ne veux plus te voir, c’est fini !

 

Une prochaine histoire courte dans notre édition du 5 octobre

 

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Par Jeanne Mazabraud

Source : Le Quotidien du médecin: 9605