Marcel contemple une dernière fois sa tête d'assassin dans le miroir de la chambre d’hôpital. Vêtu de la seule blouse blanche de patient, sa trogne est proprement effrayante. Marcel a toujours eu peur de son reflet. Qu'est-ce qui lui appartient vraiment dans cette physionomie inquiétante ? Il s'est posé cette question un millier de fois et l'introspection permanente l'a épuisé. Totalement dépourvu d'agressivité, il n'a rien à voir avec ce que sous-entend cette figure effarante. Ne ressemblant ni à son père, ni à sa mère, ni à aucun autre membre de sa famille, il s'est toujours senti à part, dans l'ombre de ses radieux géniteurs. Comment n'est-il jamais devenu fou ? Comment a-t-il pu survivre à tant de solitude ?
Mais le jour de sa libération est enfin advenu. Maintenant, face au miroir et les yeux dans ses propres ses yeux, il peut dire au revoir à son faciès lugubre. On vient le chercher. Au bout du couloir, dans le bloc opératoire, une renaissance lui est offerte. Une délivrance, un miracle. Il ne sait comment nommer ce retournement du destin. Par le simple pouvoir de ses mains méticuleuses, un homme va réduire en poussière vingt-cinq ans de souffrance et d'humiliation. Comment pourra-t-il un jour le remercier ?
Marcel s'endort, fixant le regard perçant de son sauveur, penché sur lui. L'opération est lourde. Il faut retoucher et reprendre plusieurs parties du visage, chercher une harmonie, une beauté peut-être, toute notion proprement inenvisageable jusqu'alors. Le chirurgien connaît l'enjeu de cette démarche et tente un véritable exploit. Entouré de son staff d’infirmières, il est concentré, précis, recueilli. Le bistouri rectifie et corrige les fourberies de la nature. Le nez est redressé habilement. Maintenant, il s'aligne naturellement, pacifiant le visage. Toute la dextérité du grand professionnel est à l’œuvre. La sueur qui perle à son front est aussitôt épongée par une collaboratrice attentive. Ses gestes sont sûrs et précis. Ils tranchent, découpent, referment. Une odeur de chair cautérisée s'accroche à la lumière blanche du projecteur géant. Le son métallique des instruments, vivement reposés sur leur plateau, rythme les multiples phases de la métamorphose. Quelques ordres brefs du médecin attestent de sa détermination. On devine déjà que l'opération sera un incontestable succès. Il ne peut et ne doit pas en être autrement. Les coutures sont de fines dentelles, camouflées derrière les oreilles, au ras de l’implantation capillaire et quasiment invisibles. Le plasticien suspend régulièrement son labeur, prenant du recul, scrutant les chairs, estimant les proportions, évaluant les symétries, anticipant sur le résultat final. Il faut respecter les lignes originelles pour que le patient parvienne à se reconnaître. Il doit rester lui-même mais une version améliorée de lui-même. C'est un équilibre subtil et délicat. Une retouche de trop et tout peut basculer, se perdre, se fondre. Une retouche de trop et le travail serait trop visible.
Trois heures plus tard, le médecin retire gants, toque et masque, satisfait de l'intervention. Au réveil, Marcel aura la révélation de sa vie. Malgré les hématomes et les tuméfactions, il pourra constater la disparition pure et simple de sa tête d'assassin. Ce sera un vrai grand moment. Le plasticien en sourit d'aise. Il est fier de lui, content d'avoir sauvé la vie d'un pauvre bougre. N'est-ce pas là le sens véritable de sa vocation ? Ces dernières années, il l'avait presque oublié…
Prochain (et dernier) épisode dans notre édition du 9 mars
Avec la collaboration de
Article précédent
Comme une malédiction (1/6)
Article suivant
Le médecin providentiel (4/6)
Pour en finir (6/6)
Comme une malédiction (1/6)
En salle d'opération (5/6)
Le médecin providentiel (4/6)
Survivre malgré tout (2/6)
Le coup de grâce (3/6)
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série