Je me présente, Dr Arnault Gruber, médecin généraliste installé depuis octobre 1985 dans un groupe de 6 médecins à Colomiers. J'avais 7 ans, et quand mon médecin de famille passait la porte de notre appartement, je badais ce fils improbable d'Hippocrate, de Sylène et de Saint Vincent de Paul. Installé au bout de mon immeuble, il médicalisait notre cité d'urgence avec l'humanité pressée d'un docteur Schweitzer en Triumph Spitfire. Il ne prenait pas les patins mais retirait ses John Lobb pour "mieux sentir l'ambiance de la maison", se servait un Johnny Walker et commençait le colloque singulier avec le soleil chantant de son accent pied noir.
Je garde mes richelieux sur les parquets cirés, j'évite les whiskies bas de gamme (sauf, tous les 24 décembre, pour ma dernière visite avant le réveillon, chez un vieux patient, ancien para, qui a sauté sur Dien Bien Phu avec sa prothèse de jambe gauche perdue sur une mine au Liban), je garde ma vieille Mustang Convertible 66 pour les week-ends, mais je vis mon rêve de gosse ! Et pour ça, j'ai vendu des journaux, joué au vigile avec un P 38, à l'aide-soignant de nuit, à l'infirmier en réa,travailler la nuit pour étudier le jour. Tout ce que ne peuvent plus faire nos ex-futurs Dr House des cités ! La passerelle des Hussards Blancs pourrait leur permettre de "traverser le périph".
Les trois problèmes qui affectent les déserts médicaux
Je voulais pour cela vous communiquer les réflexions de médecins de terrain sur le problème des déserts médicaux et de l'intérêt de la création de ce qu'on pourrait appeler les Hussards Blancs de la république. Les déserts médicaux, 3 problèmes liés : densité, âge, désintérêt pour le libéral.
La densité : Avec 339 médecins pour 100 000 habitants en France et 331 en Midi-Pyrénées (320 prévus en 2018), elle diminue depuis 2005.
L'âge : par contre la moyenne d'âge des médecins installés, elle, augmente, elle est passée de 40 ans en 1990 à 52 ans en 2012. Par exemple, l'âge médian des généralistes de Colomiers est de 59 ans ! Les enfants du baby boom font de gentils papys (qui, après avoir peu vu leurs enfants, aimeraient se rattraper en pouponnant leurs petits enfants.)
Quant au désintérêt pour l'installation : les jeunes diplômés fuient l'exercice libéral (8,9 %, seulement, des nouveaux inscrits à l'Ordre en 2009 ont vissé leur plaque) et ce chiffre baisse régulièrement (dans la Haute-Garonne en 2012, 9,6 libéraux, 32,7 salariés, 57,7 remplaçants et 5 ans après seuls 56 % s'installent)
Des études de médecine, longues et onéreuses pour les familles défavorisées...
Il pourrait exister un moyen d'intéresser de jeunes diplômés, généralistes ou spécialistes, à s'installer dans ces zones sous médicalisées, sans coercition administrative (numerus clausus à l'installation) ni faveurs financières ou fiscales, peu efficaces d'ailleurs. Nous pourrions aussi, grâce à ce projet, favoriser l'ouverture à la diversité sociale de l'exercice médical qui fonctionne, actuellement, avec une sélective endogamie de classe.
En effet, le "gap" pour les familles défavorisées se situe dès la première année des études, qui en font deux souvent, avec le passage quasi obligatoire par des cours privés très onéreux (jusqu'à 6 000 €/an) malgré les progrès du tutorat. De plus, l'organisation actuelle du cursus universitaire et hospitalier des études, interdit ce que nos générations ont pu faire, pour certains, de payer leurs études en travaillant à côté. Ce qui fait donc hésiter les familles défavorisées à laisser leurs enfants s'engager dans ces très longues étudesoù ils ne pourront pas accéder à une certaine autonomie financière avant la 6 ou 7e année, une fois interne. (60 à 80 h/semaine pour 1 500 à 2000 €/mois). Moins de 7 % des doctorants ont des parents ouvriers ou employés contre plus de 37 % issus de familles de cadres supérieurs ou professions libérales…
Enfin, les incitations financières proposées aux jeunes diplômés, arrivent trop tard et chez des enfants de familles aisées (familles qui assument sans problème, pour la plupart le financement de ces études) qui n'ont donc pas besoin de ces avantages pour s'installer dans le lieu de leur choix.
Et si on s'inspirait du modèle de la médecine militaire...
Il existe, selon nous, un modèle, simple, efficace et démocratique, pour ouvrir ce métier à la diversité sociale et médicaliser nos déserts, c'est le modèle de la médecine militaire que nous pourrions adapter dans le civil. En effet, en sélectionnant sur concours, dossier scolaire et social, des élèves brillants en fin de terminale, une fois leur baccalauréat obtenu avec mention, nous pourrions leur proposer un contrat où le ministère se chargerait du financement de tout leur cursus médical, jusqu'à l'obtention de leur premier poste rémunéré d'interne. Ceci en contrepartie d'une obligation d'exercice, pour 10 ans, en tant que spécialiste ou généraliste, dans une zone où l'ARS a constaté un déficit.
C'était le principe des écoles normales qui ont formé les premiers instituteurs de la République et la décennale de l'ENS. Il est évident qu'ils passeraient le même concours de première année que les autres étudiants et qu'il n'y aurait pas de places réservées.Pas de discrimination positive qui hérisse certains syndicats étudiants. Il faut savoir que les étudiants empruntant la filière "militaire" ont un taux de réussite au concours de première année, 70 %, largement supérieur aux autres, vu leur sélection et leur motivation.
Nous pourrions ainsi bénéficier de la richesse de la diversité, sociale et culturelle, dans un exercice médical un peu sclérosé par cette sélection (de classe) financière et répondre sans coercitions, mal vécues par les futurs installés, aux inquiétudes des habitants de ces zones sous médicalisées.
Et pour paraphraser Péguy, nos petits enfants pourront dire : « Nos jeunes maîtres (médecins) étaient beaux comme des hussards (blancs) noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. »
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