Crise des opioïdes

Des barrières efficaces en France

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Publié le 09/01/2020
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Les overdoses par antalgiques opioïdes constituent une véritable épidémie aux Etats-Unis. En France, la vigilance s’impose, bien entendu, mais les recommandations et l’implication des sociétés savantes constituent des freins…
La consommation prolongée ou le mésusage en opioïdes commence souvent par une prescription pour une douleur aiguë

La consommation prolongée ou le mésusage en opioïdes commence souvent par une prescription pour une douleur aiguë
Crédit photo : Phanie

En 2008, les overdoses par antalgiques opioïdes ont été responsables de près de 15 000 décès aux États-Unis, triplant ainsi le dénombrement de 1999, pour ensuite quadrupler et dépasser 60 000 dans les années 2010 (1).

Les parallèles médiatiques ne manquent pas : la mortalité liée aux opioïdes représenterait l’équivalent d’un crash aérien tous les trois jours ou, comme l’a titré le Washington Post en 2018, quasiment l’équivalent en un an des décès enregistrés pendant la guerre du Vietnam, estimés à 58 209 entre 1955 et 1975.

Une consommation initiée par la prescription

La consommation prolongée ou le mésusage en opioïdes commence souvent par une prescription pour une douleur aiguë, en particulier après chirurgie. Aux États-Unis, les patients reçoivent trop d’opioïdes et pendant trop longtemps. Cela entraîne la poursuite de leur utilisation, leur stockage, puis leur recirculation.

Le nomadisme des patients vis-à-vis des prescripteurs, ou doctor shopping, et des pharmacies est un facteur de risque indiscutable de mésusage, de surdosage, voire de mortalité (2).

Un phénomène limité en France

En France, il n’est pas adapté de parler d’épidémie. En effet, les chiffres démontrent une forte augmentation de la consommation de codéine, de tramadol et de poudre d’opium depuis plusieurs années, mais la consommation des opioïdes forts augmente plus faiblement. La vigilance institutionnelle et celle des sociétés savantes, ainsi que la mise en œuvre de recommandations de bonne pratique constituent autant de barrières efficaces contre ce phénomène nord-américain. Il en va de même de l’évaluation du risque lié aux analgésiques opiacés, en particulier grâce à l’Opioid risk tool (3). Celui-ci intègre un antécédent familial ou personnel d'abus d'une substance, l’âge (entre 16 et 45 ans) et l’existence de troubles psychologiques. L’échelle POMI (Prescription Opioid Misuse Index) est un autoquestionnaire de dépistage d’un comportement de mésusage d’un antalgique opioïde (4).

La vigilance s’impose néanmoins, impliquant l’éducation des utilisateurs et des prescripteurs, sans oublier pour autant qu’une douleur généralisée non traitée est associée à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire et du risque suicidaire (5, 6).

(1) Volkow ND et al. Medication-assisted therapies--tackling the opioid-overdose epidemic. N Engl J Med 2014;370:2063-6.
(2) Ponté C et al. Pharmacosurveillance des antalgiques opioïdes : une étude pharmaco-épidémiologique à partir des bases de données de l’Assurance maladie avec l’indicateur doctor shopping. Therapies 2018;73(6):567.
(3) Webster LR et al. Predicting aberrant behaviors in opioid-treated patients: preliminary validation of the Opioid Risk Tool. Pain Med 2005;6(6):432-42.
(4) Serra E. Les outils de repérage d’un risque d’addiction chez les patients douloureux traités par opioïdes. Douleur analg 2012;25:67-71.
(5) Tesarz J et al. Widespread pain is a risk factor for cardiovascular mortality: results from the Framingham Heart Study. Eur Heart J 2019;40:1609-17.
(6) Racine M. Chronic pain and suicide risk: A comprehensive review. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2018;87:269-80.

Dr Gérard Bozet

Source : Le Quotidien du médecin