Selon une enquête européenne de 2015 publiée dans Int J Gynecol Obstet, près de la moitié des femmes (46 %) confrontées à des règles hémorragiques ne consultent pas. Bien que les saignements utérins abondants (SUA) soient la première cause d’anémie ferriprive chez les femmes en âge de procréer, cette pathologie reste mal prise en charge. Elle nécessite un temps de consultation long, avec une adaptation en fonction des étiologies, de l’âge des femmes, de leur désir de grossesse et, surtout, de leur souhait.
LE QUOTIDIEN : Comment expliquer cette insuffisance de prise en charge ?
DR LUCIA RUGERI ET DR CHRISTINE ROUSSET-JABLONSKI : Comme il est difficile pour une femme de quantifier l’abondance de ses règles, il faut leur rappeler que les SUA correspondent à des règles trop abondantes (> 80 ml) et/ou trop prolongées (> 7 jours) et/ou trop fréquentes (cycles < 21 jours). Un score de Higham > 100 définit également les SUA : ce score est basé sur le nombre de protections utilisées par jour, leur niveau de remplissage, la présence ou non de caillots et leur taille (< ou > 1 cm) ; mais il n’est pas adapté en cas de recours à une cup par exemple. On prend alors en compte le nombre de fois où la cup doit être vidée, si elle est pleine, s’il y a des caillots, la nécessité de la vider la nuit, etc.
Quel bilan hématologique réaliser ?
DR L.R. : Un bilan biologique est indispensable (NFS, ferritinémie, TP, TCA, fibrinogène, FVIII, VWF:Act/VWF:Ag, plaquettes). Les règles hémorragiques en rapport avec un déficit en facteur de la coagulation restent rares. Environ 10 % des SUA sont liés à une maladie hémorragique héréditaire (MHH), dont la plus fréquente est la maladie de Willebrand. Parmi les causes iatrogéniques, la prise d’anticoagulants oraux directs pourrait provoquer des SUA, dans 20 à 40 % des cas.
Quelles sont les recommandations sur le plan de l’hémostase ?
DR L.R. : Le premier point est la correction de l’anémie et de la carence martiale (la ferritine doit être normale). L’acide tranexamique (1 g matin, midi et soir pendant toute la durée des règles trop abondantes) possède une action antihémorragique par inhibition des activités fibrinolytiques de la plasmine. Ce traitement n’est pas assez prescrit, en raison de réticences infondées vis-à-vis d’un risque supposé de thromboses artérielles ou veineuses. Dans notre expérience lyonnaise, ce traitement n’avait pas été proposé chez 70 % de femmes alors qu’il est recommandé dans cette indication et qu’il existe peu de contre-indications ou d’effets indésirables.
Qu’en est-il de votre expérience lyonnaise justement ?
DR L.R. : Un hôpital de jour spécifiquement dédié aux SUA a été créé aux Hospices civils de Lyon. Sur les premières 450 femmes ayant consulté, dans 60% des cas, aucune cause gynécologique ni biologique n'a été mise en évidence. Dans 32 %, une cause gynécologique a été retrouvée à l'échographie et, parmi des causes biologiques, un déficit modéré en facteur Willebrand a été identifié dans 10% des cas, et plus sévère dans 0,8%.
En parallèle, le réseau Hémogyn a été créé : il s’agit du premier réseau ville-hôpital dédié aux femmes souffrant de règles abondantes et qui s’adresse à la fois aux professionnels de santé souhaitant trouver de l’information sur la prise en charge de ces patientes et aux patientes en quête d’un professionnel.
Quid des étiologies fonctionnelles gynécologiques ?
DR C. R.-J. : Chez les adolescentes, les ménorragies peuvent être liées aux troubles de l’ovulation transitoires – le temps de récupérer des cycles réguliers – ou être plus durables, s’il y a des troubles de l’ovulation dans le cadre d’un syndrome des ovaires polykystiques (Sopk) par exemple. Dans ces situations, les saignements sont liés à l’hyperœstrogénie relative.
En cas de suspicion de Sopk, on réalise une échographie pelvienne pour établir un diagnostic et un bilan hormonal en début de cycle : FSH-LH-œstradiol, testostérone totale, SHBG (protéine porteuse de la testostérone), delta-4-androsténédione, SDHA, 17-hydroxyprogestérone (17-OHP) pour éliminer un bloc en 21-hydroxylase, et cortisol libre urinaire des 24 heures pour éliminer un syndrome de Cushing.
On peut également avoir des saignements fonctionnels en période de périménopause, en raison d’une insuffisance lutéale : des cycles irréguliers en âge de périménopause (après 45 ans) suffisent au diagnostic : les bilans hormonaux ne sont pas recommandés dans ce contexte.
Les saignements peuvent aussi être iatrogènes, y compris liés à la présence d’un stérilet au cuivre qu’il suffit parfois d’enlever.
Et des étiologies gynécologiques organiques ?
DR C. R.-J. : Les causes organiques concernent principalement l’endomètre : myomes sous-muqueux, hyperplasie endométriale et adénomyose (forme d’endométriose et donc caractérisée par des douleurs associées), diagnostiqués à l’échographie pelvienne et, si besoin, par hystéroscopie et/ou IRM.
Quelle est la prise en charge ?
DR C. R.-J. : En cas de ménorragies fonctionnelles, la progestérone naturelle peut être prescrite en phase lutéale pendant 10-12 jours pour régulariser les cycles. Si ce traitement n’est pas suffisant, il est possible de recourir à une contraception hormonale, soit œstroprestative (en discontinu, trois semaines sur quatre, ou en continu, pour induire une aménorrhée), soit avec un progestatif seul (microprogestatifs en comprimés ou en implants, ou via un DIU au lévonorgestrel, qui existe en deux dosages).
Si ces traitements sont mal tolérés ou inefficaces, une thermocoagulation (destruction endométriale par la chaleur) peut être réalisée sous hystéroscopie. Les myomes sous-muqueux relèvent d’une indication chirurgicale. L’hyperplasie endométriale d’un traitement hormonal (pilule contraceptive ou progestérone), voire d’une chirurgie (curetage sous hystéroscopie, voire thermocoagulation).
Pour l’adénomyose enfin, peuvent être proposés un DIU au lévonorgestrel, du diénogest, un antagoniste de la GnRH voire un macroprogestatif, en dernière intention et pour une durée courte.
Un hôpital de jour spécifiquement dédié a été créé aux Hospices civils de Lyon
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