ACCEPTER L’IDÉE que l’on devient sourd n’est pas facile. La surdité s’installe insidieusement et progressivement. Longtemps persistent des situations calmes où l’on entend bien. Le vieillissement réduit le spectre sonore de façon exponentielle et s’ajoute aux traumatismes auditifs antérieurs : 0,5 db/an entre 60 et 70 ans, 1db/an de 70 à 75 ans, 1,5 db/an entre 75 et 80 ans, 3 db/an à partir de 85 ans etc. La perte sonore débute en prédominant sur les sons aigus et rend les consonnes inaudibles. La parole devient inintelligible dans des conditions difficiles : bruit ambiant, présence de plusieurs locuteurs, réverbération (halls de gare, d’aéroport…). La non compréhension de messages délivrés par les hauts parleurs, utiles aux voyageurs est pour le sujet âgé anxiogène. Elle participe au confinement, aux craintes, à l’arrêt d’activités…
Le déclin cognitif pourrait être corrélé à la perte d’audition.
La relation assez stricte entre le déclin cognitif et la diminution de l’audition et de l’intelligibilité a été bien étudiée aux États-Unis, peu en France. « Une perte de plus de 25 db est associée à des performances cognitives dégradées de 6 à 7 ans : à 70 ans on a celles de 77 ans ! Toutes les actions qui retardent la dépendance méritent d’être cumulées. Or chaque fois qu’on arrive à retarder le déclin cognitif d’un an, on diminue la prévalence de la démence d’environ 10 %. Préserver une audition la meilleure possible retarde-t-il le déclin cognitif ? », interroge le Pr Bruno Frachet, service d’ORL, Hôpital Rothschild. « Une chose est sûre, il y a un rationnel à ce déclin cognitif lié à la surdité : quand on doit réfléchir à ce qu’on est en train d’entendre pour essayer de comprendre ce qui est dit, on n’utilise pas ces moyens intellectuels pour anticiper et créer des relations cognitives. L’audition n’est pas le seul facteur, mais les personnes qui entendent mieux ont de meilleures compétences cognitives », souligne-t-il. Faciliter l’accès aux prothèses serait-il facteur d’économies de santé ? Cela devrait être mieux étudié, estime le spécialiste. Il est en tout cas certain que mieux entendre assure une meilleure qualité de vie aux personnes âgées et à leur entourage.
Présenter de manière positive, l’appareillage est un acte de soin.
La surdité progresse de façon sournoise et lente. Les difficultés auditives sont amoindries de façon inconsciente par la lecture labiale. Le Pr Bruno Frachet attire l’attention sur ces petits signes d’utilisation de la lecture labiale : « Le patient met ses lunettes pour comprendre ! Si on lui tourne le dos ou que l’éclairage est faible, il ne comprend pas ce qu’on lui dit. » Comment aborder le sujet de l’appareillage auditif ? Au verdict : « allez voir l’audioprothésiste » - qui fait fuir le patient - le Pr Frachet préfère cette question : « Pensez-vous avoir besoin d’un appareillage ? ». Elle libère la parole et peut laisser s’exprimer une symptomatologie nécessitant un appareillage : dans le calme j’entends bien, mon conjoint trouve que je mets la télé un peu fort, je comprends mal les chiffres et les noms propres, j’évite les situations bruyantes : multilocuteurs, réunions, halls de gare, etc. Présenter la prothèse de façon positive avec bienveillance est un acte de soin. « Si on ne dit rien, en moyenne 7 ans s’écoulent entre le besoin de prothèse auditive et l’appareillage. Plus l’appareillage est précoce, plus le cerveau s’adapte facilement. Dire simplement : je pense qu’un appareillage peut améliorer votre qualité de vie… vous pouvez toujours faire un essai, vous jugerez si ça vous apporte du confort… l’essai est sans danger et gratuit… peu de traitements peuvent être testés de cette façon… est une aide à ne pas négliger », explique le Pr Bruno Frachet.
La stigmatisation de la surdité freine l’appareillage auditif. Des efforts sont faits pour miniaturiser les prothèses et les rendre moins visibles. Des efforts restent à faire pour présenter de manière positive la prothèse mais aussi lever le deuxième frein à l’appareillage : le coût, à renouveler tous les 5 ans. Une paire de prothèse revient à 3 000 euros réglages et suivi compris. Environ 2 000 euros restent à charge des patients. MDPH, Mairies, associations… aident parfois. Faciliter l’accès aux prothèses (baisses de prix, meilleure prise en charge, dédramatisation…) serait facteur de bien-être. S’il s’avérait qu’en appareillant on retarde déclin cognitif et dépendance, la société y trouverait son compte. Pourquoi ne pas l’étudier ?
D’après un entretien avec le Pr Bruno Frachet, Service d’ORL, Hôpital Rothschild, Paris.
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