« Le Quotidien » s’est plongé à –110°C dans le froid de l’INSEP à la découverte de la cryothérapie. Sensations garanties pour cette thérapie de choc qui soulève un intérêt grandissant, chez les sportifs mais aussi dans les pathologies rhumatismales.
Malgré le boom qu’a connu ce traitement en 2014, l’INSEP est toujours aujourd’hui la seule structure à disposer en France d’une cryothérapie corps entier (CCE) électrique à trois pièces : le patient avance à travers un froid sec successivement à –10°C, –60°C et finalement –110°C, où il reste 3 minutes.
Dix autres centres de CCE ont ouvert cette année, fonctionnant à l’azote, auxquels il faut ajouter les 22 centres de cryothérapie corps partiel (CCP) dénombrés à ce jour.
« Il est indéniable qu’il y a une demande et un marché, déclare Jean-Robert Filliard (INSEP, Paris), premier président de la toute jeune Société française de cryothérapie corps entier, créée en juillet dernier et dont le premier comité scientifique a eu lieu le 8 décembre dernier lors de la journée médicale de l’INSEP (symposium qui a regroupé près de 200 personnes). C’est pourquoi nous avons voulu nous organiser pour valider la méthode, émettre des recommandations sur les protocoles, et mettre en place des études multicentriques sur des populations homogènes. Nous espérons confirmer les premiers résultats encourageants et asseoir les indications à retenir. »
Concrètement, après une anamnèse et un examen clinique visant à écarter les contre-indications (essentiellement : asthme et HTA non contrôlées, grossesse, maladie de Raynaud), mais aussi à recueillir les motivations du patient et son consentement éclairé, la préparation commence : chaussettes sèches, sabots, bandeau pour les oreilles, gants et masque canard protègent le patient, autrement vêtu d’un maillot de bain. Il/elle choisit un morceau de musique qui sera diffusé dans les pièces, le contact audiovisuel avec l’extérieur étant également maintenu pendant toute la séance.
La première fois
Il est difficile de retrouver son souffle face au tsunami de simulations nerveuses qui s’abat dès la porte des –110°C refermée. C’est l’impact mental qui domine et la présence d’une autre personne permet de se focaliser plus facilement. « Nous commençons toujours la première séance de cryothérapie d’un nouveau patient accompagnée d’une personne initiée », a confirmé Jean-Robert Filliard. Le patient est invité à se mouvoir dans la pièce voire à danser si le cœur lui en dit. À la sortie, l’hypothermie est périphérique, autour de 5-8°C, avec une température centrale maintenue.
À l’INSEP, pour les sportifs professionnels et les équipes de France, cette séance se poursuit par un repos de 15 minutes sur lit flottant, puis par une balnéothérapie : alternance de bains à 8°C et à 38°C pendant une minute chacun, le tout renouvelé six fois. L’ensemble est extrêmement fatigant, à la fois stimulant et reposant.
Physiologie de la récupération
Ce choc thermique a pour but de provoquer différentes réactions physiologiques : anti-inflammatoire systémique, antalgique et antioxydante notamment. Cela favorise la récupération musculaire chez le sportif de haut niveau (1, 2), via une action sur les microblessures et en limitant l’oxydation et l’inflammation des tissus liées à l’effort.
De plus, « en raison de ces effets sur bon nombre de mécanismes corporels entrant dans l'homéostasie (le rythme cardiaque, la respiration, la sudation, la température corporelle, la composition du sang, les troubles de l'humeur et les états neurodégénératifs), la cryothérapie présente un intérêt spécifique à explorer », ont expliqué Serge Mesure et al. dans un numéro spécial de Kinesither Rev consacré à ce sujet (3).
Des résultats préliminaires prometteurs
C’est en rhumatologie que les choses sont les plus avancées. De petites séries notamment dans la spondylarthrite ankylosante (SPA), la fibromyalgie, la polyarthrite rhumatoïde (PR), ont montré des résultats subjectifs mais excellents. Dans la SPA, le centre de St-Malo a ainsi relevé une baisse de 4 points de l’échelle visuelle analogique (EVA), 55% d’arrêt et 22% de diminution du traitement antalgique. « Nous souhaitons désormais rassembler des bases de patients homogènes pour une validation scientifique de la méthode. Nous mettons pour cela en place des projets avec des services hospitaliers recrutant ces patients », explique M. Filliard.
Les syndromes douloureux chroniques sont une autre grande cible. Carole Maître, la gynécologue de l’INSEP, indique ainsi avoir testé avec intérêt cette méthode dans les douleurs chroniques pelviennes, les endométrioses et les adénomyoses. D’autres expériences sont conduites dans l’algodystrophie, la sclérose en plaques (SEP), les troubles du sommeil…
Une frilosité française
Avec 15 000 expositions réalisées à l’INSEP depuis 2009, le recul est rassurant, dans la mesure où les contre-indications sont respectées : « nous avons eu quelques cas de brûlures cutanées mineures, quand les personnes n’étaient pas bien sèches. On se pose paradoxalement beaucoup moins de questions avant de s’immerger à + 70°C dans un sauna ! », constate M. Filliard, tout en soulignant qu’il est important que l’opérateur soit un personnel médical ou paramédical qualifié pour cette technique.
La société française de CCE s’est ainsi alarmée des risques liés au développement rapide et pour l’instant peu encadré de la pratique : attention aux promesses trop alléchantes faites dans un but uniquement lucratif, à des patients en errance thérapeutique ! « Nous considérons qu’il faut toujours garder le contact avec le médecin traitant, en avançant pas à pas », indique Jean-Robert Filliard.
Notons que la CCE est beaucoup plus répandue et acceptée dans le cadre médical dans les pays d’Europe du Nord, au Japon, en Russie. Quelques centres viennent de voir le jour aux États-Unis.
(1) Hausswirth C et al. Effects of Whole-Body Cryotherapy vs. Far-Infrared vs. Passive Modalities on Recovery from Exercise-Induced Muscle Damage in Highly-Trained Runners. Plos one. December 2011 (6) :12. e27749
(2) Pournot et al. Time-Course of Changes in Inflammatory Response after
Whole-Body Cryotherapy Multi Exposures following
Severe Exercise. Plos one. July 2011 (6) :7. e27748
(3) Kinesither Rev 2014;14
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