NICOLAS GRENOVILLE allait avoir 29 ans lorsqu’il s’est pendu, la nuit du 10 au 11 août 2009, dans son garage avec un câble France Télécom et sa veste de travail. Il travaillait dans l’entreprise depuis 2005 et témoigne, dans ses dernières lettres, d’une profonde souffrance professionnelle… Comme de nombreux autres salariés, puisque l’Observatoire du stress et des mobilités forcées, créé en 2007 par la CFE-CGC et SUD-PTT, recense 19 suicides en 2009 et 27en 2010 à France-Telecom.
La reconnaissance du décès de son fils comme maladie professionnelle, obtenue de haute lutte, est une victoire pour Anne-Marie Grenoville, qui en a été informée par la caisse primaire d’assurance-maladie le 30 mars dernier. « Je suis très satisfaite, on avait dans un premier temps demandé à ce que son suicide soit classé comme un accident de travail, mais ça avait été refusé. Ensuite, une première demande de classement en maladie professionnelle avait également été refusée, mais là, ça a enfin été accepté. » C’est en effet un rapport de l’inspection du travail, remis au procureur de la république de Besançon, qui a relancé le dossier après un premier classement sans suite : la mobilité imposée au salarié, une absence de formation, et des cadences de travail trop intenses étaient directement pointées du doigt. Tout comme la stratégie fixée en 2005 pour augmenter la productivité de 15 % en 3 ans, au prix de 22 000 suppressions d’emplois et de 10 000 déplacements. « Un accident, c’est différent, a confié la mère de Nicolas Grenoville au JDD. La maladie, c’est quelque chose de lent, de sournois qui vous attaque de l’intérieur ».
Les syndicats ont également souligné l’avancée symbolique de cette décision. « Si la CFE-CGC/UNSA est satisfaite de cette décision de la CPAM qui confirme une nouvelle fois qu’une organisation du travail peut pousser les salariés au suicide, elle sera vigilante à ce que la direction de France Télécom ne se décharge pas de ses responsabilités en accusant la ligne hiérarchique du salarié » a averti l’organisation. « C’est une bonne et une mauvaise nouvelle », a tempéré de son côté Patrick Ackermann, délégué syndical central SUD. « Nous sommes quelque peu déçus que ce suicide ne soit pas reconnu comme un accident, seulement comme une maladie (les avantages sociaux sont moindres), mais c’est une avancée qui permettra à la famille de lancer une nouvelle procédure pour faute inexcusable de l’employeur et surtout, cela établit un lien direct entre le stress et les conditions de travail » a-t-il déclaré au Quotidien.
Stress au travail
« La reconnaissance d’un suicide comme maladie professionnelle correspond peut-être mieux au phénomène du stress au travail qui s’inscrit progressivement dans la durée », estime pour sa part le psychiatre Patrick Légeron, auteur d’un rapport sur le stress au travail, remis à Xavier Bertrand en mars 2008 et fondateur du cabinet de conseil en matière de risques psychosociaux, Stimulus. Pour le médecin, un tel suicide, tout en gardant sa part de mystère, peut s’expliquer par un faisceau de facteurs, à la fois internes, en lien avec des problématiques personnelles à l’individu, et externes. « Le sentiment d’être face à une charge de travail insurmontable et de ne pas trouver en soi les ressources nécessaires pour la maîtriser peut provoquer du stress, surtout chez des individus très investis dans leur entreprise », souligne Patrick Légeron. « La perte du lien collectif, constitutif de l’individualisation de notre société, peut également jouer un rôle », ajoute-t-il, précisant que ces circonstances se retrouvent davantage dans les grandes entreprises que dans les PME, bien que l’absence de chiffre ne permette pas de tirer des conclusions définitives (voir ci-dessous). « Si les pouvoirs publics commencent à se saisir de la question de la souffrance au travail, ainsi que les représentants syndicaux, les entreprises restent frileuses : à la place de mesures de prévention, (comme la formation des managers à la santé psychologique ou la labellisation des entreprises qui protègent l’humain), elles privilégient la gestion des risques », avance Patrick Légeron.
Un constat qui se confirme à France Télécom. De l’avis de Patrick Ackermann, le départ en mars 2010 du PDG Didier Lombard, remplacé par Stéphane Richard, a certes entraîné une pause dans les suppressions d’emplois et dans la pression que ressentaient certains services. « Mais les fondamentaux du management n’ont pas été remis en question », déplore le syndicaliste.
La direction de France Télécom a indiqué lundi qu’elle allait déposer un recours contre la qualification en « maladie professionnelle », du suicide de Nicolas Grenoville. Parallèlement, l’information judiciaire pour « homicide involontaire par imprudence », ouverte par le parquet de Besançon le 15 mars 2010, est toujours en cours.
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