Signalement et confraternité : un dilemme français

Publié le 13/06/2019

« En tant que chef de service, témoigne le Dr G. M., j’ai été confronté à une anesthésiste qui multipliait les fautes lourdes, ratait les péridurales et anesthésiait insuffisamment les patientes pour les césariennes, où j’intervenais quasiment à vif. C’était une personnalité perverse, manipulatrice et dissimulatrice. Alors que les paramédicaux se plaignaient à l’administration, j’ai été le seul médecin à donner l’alerte, aucun confrère n’a voulu se mouiller et la situation s’est prolongée des années durant jusqu’à ce que je m’autorise à rédiger un mémoire qui a fini sur le bureau du procureur. Pendant dix ans, les autres médecins du CH s’étaient défilés ! » Le cas rapporté par le Dr M. est antérieur au décret de 2014. Mais la confraternité reste un obstacle au signalement. Du moins, « une certaine idée de la confraternité, souligne le Dr Desseur, une idée qui relève davantage du copinage que de la juste déontologie. »

Pour éluder la responsabilité d’un confrère, les dossiers médicaux mentionneront « un effet indésirable » plutôt qu’une lésion induite, « un accident » et non une faute, « une prise en charge de l’équipe » et non une décision d’un PH. Surtout, ne pas incriminer un confrère.

Or, souligne le Dr Jean Thevenot (CROM d’Occitanie), «  le défaut de signalement d’un confrère défaillant et dangereux constitue un manquement à la déontologie ». Le code est clair : « Tout médecin qui a connaissance des difficultés d’un confrère doit s’en ouvrir à lui, lui proposer son aide et le convaincre de se rapprocher du conseil départemental qui, de façon confidentielle, peut enclencher plusieurs niveaux d’aide et d’assistance. Si ce processus n’aboutit pas et que la gravité de la situation qu’il lui appartient d’apprécier en conscience l’exige et sous réserve qu’il ne soit pas médicalement en charge du confrère (1), il doit aviser ce confrère qu’il informera le président du conseil départemental » (commentaire de l’article 56).

Mauvais souvenir de l’Occupation

Ce devoir de signalement est en vigueur dans plusieurs pays européens, où il s’inscrit dans le principe éthique de bienfaisance confraternelle, suivant un système anonymisé, comme en Catalogne avec la procédure Galatea. En France, il se heurte encore souvent à un blocage hérité des mauvais souvenirs de l’occupation. Et surtout, souligne le Dr Desseur, « il résulte de la méconnaissance d’une procédure opposable qui garantit parfaitement les droits du médecin visé et d’un défaut de sensibilisation de la profession. »

La charte signée en mars 2018 par l’Ordre et les associations d’entraide étend à celles-ci le secret professionnel. « Je ne signalerai pas un médecin alcoolique qui sollicite mon association car nous sommes alors dans une relation médecin-patient », confirme le Dr Marc Garcia, président d’Inter.med.

Ch. D.

Source : Le Quotidien du médecin: 9757