Rien ne va plus dans notre système de santé alors que les soignants ont été très performants pendant la pandémie. On a de très bons soignants, de nombreux hôpitaux et la chirurgie n'a jamais été aussi performante. Elle a été mise à l'arrêt par le plan Blanc. Plus d'un million d'interventions ont été reportées par les réquisitions des cliniques.
On a un très bon système de soins mais le système de santé le paralyse. Les tentatives législatives pour institutionnaliser la politique de santé se succédaient avant la crise, enlevant toute liberté à nos jeunes collègues. La santé est devenue un enjeu majeur du débat politique. La loi « Ma santé 2022 » va être refondée avec le Ségur de la santé.
Sécurité sanitaire, assurance-maladie, inégalités de santé, bioéthique, ces enjeux sont au centre des préoccupations de la société mais pas des conseillers de l’État. Une question se pose : faut-il avoir deux organismes payeurs, la Sécu et les assurances complémentaires (40 milliards de budget annuel) ?
Les lois successives soutenues par nos ministres proposent des mesures par trop étatiques, palliatives alors que le mal devrait être traité à sa racine en combattant « la sur-administration étatique de la santé ».
Les manifestations et les grèves s’étaient multipliées depuis le mois de mars 2019 avec celles des urgences et des personnels hospitaliers, puis des médecins, des soignants et internes. Quelques mesures financières avaient été prises pour calmer les esprits mais le mal était plus profond. Sans réformer tout le système de fond en comble, ce sera l'écroulement. (...) La dette hospitalière va continuer de se creuser, car les dépenses croissent de 4 % par an et les taux d’intérêt sont élevés.
Dégradation depuis 20 ans
J'ai consacré ma vie entière à la chirurgie, avec enthousiasme et bonheur. La satisfaction de guérir, parfois au prix d'interventions chirurgicales difficiles, fut ma récompense. Depuis une vingtaine d’années j’ai vu la situation se dégrader. Nos jeunes internes sont malheureux et craignent maintenant pour leur avenir. Quelle tristesse ! Ces « Docteurs juniors » sont stressés et leurs associations, ISNI et ISNAR-IMG, s’interrogent sur les réformes ubuesques mises en place.
Les déficits s'accumulent avec la crise du Covid : 50Mds€ pour la Sécu : ils sont à nouveau transférés à la CADES. Faire de vraies réformes est un redoutable défi pour une société dans laquelle la Sécu constitue l'un des fondements du pacte républicain. (...)
La croissance des dépenses de santé restera toujours élevée avec le vieillissement et le développement des maladies chroniques et émergentes. On meurt encore en France, de maladies aiguës ou de soins inadaptés et, pour la première fois depuis la guerre, l'espérance de vie a reculé d'un trimestre, sans compter les futurs décès par retards de soins des malades non Covid avec la pandémie.
Les « doctes » avis sur l’accès aux soins et sur la rémunération des soignants ne sont exposés que par des « experts » en économie et non pas par les malades et les médecins. La disparition programmée du paiement à l'acte n'est que le point d'orgue d'une politique qui vise à faire disparaître toute autonomie aux professionnels de santé. Les CPTS vont se développer avec le Ségur, ce qui paralysera encore plus la médecine de ville (...)
On s'acharne à former des médecins sans sélection avec le portail santé. La fin des concours hospitaliers après celui de l'Internat va faire disparaître l’élitisme, moteur de nos métiers (...)
On copie les systèmes nordiques et anglo-saxons qui ne correspondent pas à nos idées avec le salariat exclusif. La discipline de leurs habitants pour les soins non urgents n’est pas dans notre culture. Ces pays acceptent les listes d’attente afin de cantonner leurs impôts.
La médecine était un art, elle est devenue consumériste, par injonction politique et idéologie. (...) Chercher à être « honoré » à titre personnel pour le service rendu et la compassion manifestée est suspecté de « paternalisme ». Le médecin devenu « agent de santé publique » est payé par l'État. Il n'est donc plus engagé avec le patient dans un dialogue singulier, mais fera partie d'une équipe aux membres interchangeables et anonymes, voire virtuels avec l’IA. (...)
Les conseillers estiment qu'il n'y aura plus besoin de pratiques, transmissibles par compagnonnage, ce qui demande un temps long de formation incompressible en particulier pour la chirurgie. Cette politique folle mettrait un terme à l'indépendance des médecins au profit d’une subordination croissante aux décideurs de l’économie.
Dans ces conditions on ne comprend pas pourquoi le numerus clausus a été supprimé à l'entrée en faculté de médecine, sauf si leur arrière-pensée était de multiplier les assistants médicaux et les officiers de santé. (...)
Les soignants ont été envoyés au combat contre le Covid sans armes, ni masques ni sur blouses, 46 médecins sont morts et des milliers de soignants ont été contaminés. Tout le système doit donc être refondé pour retrouver la médecine humaniste que j'ai connue. Le capitaine mis à la barre du Ségur est celui qui avait en 2014 porté la loi Touraine. Il ne changera pas de cap ce qui fera couler le navire hôpital.
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