INTRODUCTION
La douleur chronique étant cliniquement complexe à prendre en charge, le recours pharmacologique ne peut être envisagé comme l’unique voie menant au soulagement (1).
À ce titre, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est la psychothérapie qui possède le degré de preuve le plus élevé dans la prise en charge de la douleur chronique. Protocolisée, elle se prête parfaitement à la recherche et à l’évaluation.
Ce n’est en revanche pas le cas de l’hypnose, de la relaxation ou d’autres thérapies brèves complémentaires du soin, lesquelles, pour une efficacité optimale, doivent être personnalisées, du fait d’une nécessaire prise en compte du mode de perception de la douleur et du système de représentation mentale de chaque individu. C’est pourquoi, en dépit d’un grand nombre d’études sur son apport dans la douleur chronique, l’hypnose s’adapte peu aux protocoles standardisés de la recherche, une modélisation d’intervention hypnotique lui faisant perdre invariablement de son efficacité. Néanmoins, si aucune recommandation française ou internationale émanant de sociétés savantes ou d’autorités de santé n’est exclusivement centrée sur ces deux thérapies dans le contexte de la douleur chronique, celles-ci sont généralement mentionnées comme une aide potentielle, complémentaire de la prise en charge médicale conventionnelle (2, 3, 4, 5, 6).
En France, chaque structure spécialisée dans les douleurs chroniques possède une équipe pluridisciplinaire, au sein de laquelle un psychologue est formé à l’hypnose et à la TCC, qu’il dispensera à la carte après une évaluation psychologique du patient, avec une vigilance en cas d’antécédent de psychotraumatisme.
POURQUOI LE MÉDICAMENT SEUL NE SUFFIT PAS ?
Dans la grande majorité des douleurs chroniques, les thérapies médicamenteuses ne suffisent pas car la douleur est une expérience subjective, multimodale (multidimensionnelle), au-delà de la seule dimension sensorielle ou sensori-discriminative (sensation de brûlure au niveau des pieds dans la douleur neuropathique, par exemple). Lorsque les patients relatent leur expérience de la douleur, ils ne citent pas uniquement la sensation douloureuse mais également une expérience affective-émotionnelle (le « ras-le-bol » et le stress engendrés par la douleur, la dépression, le sentiment d’injustice…), ainsi qu’une composante cognitive, c’est-à-dire l’ensemble des pensées générées par la douleur (« je n’y arriverai jamais », « rien ne me soulage », etc.) et, enfin, une composante comportementale, à savoir la manière dont la douleur modifie leur comportement au quotidien (vie sociale restreinte, renoncement à l’activité physique ou à la kinésithérapie dans le cadre d’une lombosciatalgie chronique du fait de la recrudescence de douleurs matinales…). En retour, ce comportement amplifie la détresse émotionnelle, accroît les pensées catastrophistes (« distorsions cognitives ») et, de ce fait, augmente la perception de la douleur.
Certains facteurs émotionnels prédisposent à la chronicisation d’une douleur, et peuvent même l’entretenir. Il s’agit de la dépression, de la peur de la douleur, du catastrophisme, des affects anxieux et de la vulnérabilité anxieuse à la maladie ou aux lésions physiques (9).
La peur explique l'évitement des patients, qui interprètent de façon négative le rôle de l’activité dans l’aggravation de la douleur, par exemple. Ils adoptent des conduites d’évitement responsables d’un déconditionnement à l’effort, d’un retentissement émotionnel (colère, anxiété, frustration, moindre capacité à répondre au stress, dépression…) et d’un handicap, lui-même entretenu par les évitements. Quant au catastrophisme, il est défini comme un état de focalisation exclusive du patient sur les aspects aversifs et négatifs de l’expérience douloureuse. Il influence la perception douloureuse en modifiant l’attention et l’anticipation ainsi qu’en augmentant la réponse émotionnelle des patients à la douleur. Il est corrélé à la dépression, à l’incapacité fonctionnelle, à la kinésiophobie (peur du mouvement) et à l’évitement (9).
L’acceptation, l’efficacité personnelle, la résilience et la motivation du patient dépendent beaucoup des croyances et des capacités au changement.
Le caractère multidimensionnel de la douleur n’est pas un concept théorique mais une réalité qui repose sur un substrat physiologique : lors de l’activation par la douleur des différentes zones cérébrales, certaines perçoivent bien entendu la sensation physique (cortex somatosensoriel) mais l’ensemble du réseau neurologique de l’émotion est également activé par la douleur. Cela signifie que celle-ci, qu’elle qu’en soit l’origine (neuropathie diabétique, lombosciatalgie, douleur rhumatismale ou post-opératoire, etc.), active également les zones émotionnelles du cerveau. On comprend ainsi mieux pourquoi une molécule chimique bloquant les récepteurs périphériques à la douleur s’avère insuffisante. Lorsque la composante émotionnelle est majeure, celle-ci doit être prise en charge par un psychiatre ou par un psychologue. Les thérapies brèves, telles que l’hypnose ou la TCC, sont des outils thérapeutiques utiles dans ce contexte.
LES TCC DANS LA DOULEUR CHRONIQUE
Les thérapies cognitivo-comportementales sont centrées sur la cognition, c’est-à-dire les pensées et les croyances parfois erronées et négatives que cultive l’individu sur lui-même (9). Par ces thérapies, il s’agit de rendre le patient actif de son traitement et de transformer les comportements douloureux en comportements bien portants grâce à un nouvel apprentissage de la manière de vivre avec la douleur. En effet, la douleur chronique alimente des cercles vicieux. Par exemple, une ergonomie non adaptée sur le lieu de travail ou des moyens de transport difficiles peuvent induire un conditionnement reliant de façon très animale, « reptilienne », le fait de se rendre au travail à une augmentation de la douleur, engendrant une détresse émotionnelle à l’origine elle-même d’un accroissement de la sensation douloureuse. La TCC décortique les liens tissés entre certaines situations, pensées ou émotions et la douleur, afin de mettre en place des stratégies pour modifier les pensées, les émotions, d’adapter les lieux de travail, de réaliser des exercices pour relâcher la tension musculaire afin d’éviter les contractures qui risquent d’aggraver des douleurs préexistantes.
Comme leur nom l’indique, les TCC agissent à un double niveau : sur les comportements et sur les cognitions, les croyances. Ainsi, la kinésiophobie d’un patient lombalgique chronique lui interdit toute activité, qu’il sait pourtant être bénéfique, aggravant ainsi sa douleur (10).
Les processus mis en œuvre au cours de la thérapie cognitive sont l’éducation et l’information, la reformulation des croyances sur la maladie et le rôle à adopter, l’apprentissage des stratégies de coping (stratégies d’ajustement) et la réassurance afin de renforcer l’efficacité personnelle (9). D’autres leviers sont utilisés, comme la décentration, la distraction, les auto-injonctions positives, l’appropriation des succès, la ré-interprétation des situations, la réévaluation des projets, la résolution des problèmes par découpage, l’utilisation des ressources antérieures et l’humour.
Un travail est réalisé avec le patient sur les cognitions dysfonctionnelles telles l’inférence arbitraire (conclusion sans preuve), l’abstraction sélective (sélection d’un élément du tout), le raisonnement dichotomique (en tout ou rien), la généralisation, la personnalisation, la minimalisation du positif et la maximalisation du négatif.
Les outils de la thérapie comportementale sont la réactivation physique (pour limiter la kinésiophobie, les évitements et le déconditionnement physique), l’apprentissage de la relaxation (avec exposition en imagination) et de la gestion du stress et, enfin, l’exposition progressive graduée aux situations redoutées et évitées.
Quelle efficacité des TCC ? Les échelles d’évaluation mettent en évidence peu de modifications du niveau de douleur post-TCC. En revanche, le niveau d’anxiété et de stress recule, la dépression est moins fréquente, et une grande proportion des patients sont en mesure d’affirmer qu’ils ont pu reprendre une vie sociale, professionnelle et familiale plutôt satisfaisante (10).
Les TCC en pratique En médecine de ville, l’évaluation de première intention comprend la recherche de troubles anxieux, dépressifs ou de manifestations psychopathologiques induits ou associés à la douleur chronique, mais aussi des interprétations et croyances du patient éloignées de celles du médecin, ce qui oriente vers les TCC en sus d’un traitement médicamenteux ou non (7).
Dès que le médecin perçoit une composante émotionnelle (anxiété importante, dépression, troubles du sommeil, isolement de la vie sociale) associée à la douleur chronique et qui amplifie le ressenti de la douleur, la TCC est indiquée.
En termes de pathologies, tous les types de douleurs (par excès de nociception, neuropathiques, nociplastiques) peuvent répondre aux TCC, avec des indications privilégiées telles que la fibromyalgie, les céphalées de tension, la lombalgie chronique, les douleurs dysfonctionnelles (syndrome de l’intestin irritable…), etc. Le praticien procède alors à une analyse fonctionnelle chez le patient, en détectant les situations de vie qui amplifient le handicap généré par la douleur.
Dans les douleurs neuropathiques, du fait du niveau des études, le niveau de recommandation est faible en faveur de l’utilisation de la TCC en complément des traitements médicamenteux mais elle est mentionnée comme une aide potentielle (2).
La TCC, qui est indiquée dans des douleurs chroniques, peut s’avérer utile dans certains cas de douleur aiguë (empreinte émotionnelle traumatique engendrée par des séances de chimiothérapie itératives, etc.).
La TCC fait partie des thérapies brèves, avec une durée moyenne de 8 à 10 séances.
Les séances individuelles ont tendance à être plus efficaces que celles en groupe, du fait de la personnalisation de la thérapie. Cependant, il existe des groupes de TCC douleur chronique transétiologiques ou monopathologiques (lombalgie chronique, fibromyalgie…).
LA DOULEUR CHRONIQUE
La douleur chronique ou syndrome douloureux chronique est un syndrome
multidimensionnel lorsque la douleur exprimée, quelles que soient sa topographie et son intensité, persiste ou est récurrente au-delà de ce qui est habituel pour la cause initiale présumée (six mois est la durée consensuelle pour qualifier la douleur de chronique), répond insuffisamment au traitement ou entraîne une détérioration significative et progressive des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient (7).
La douleur chronique est fréquemment associée à des facteurs de renforcement. Facteurs qui participent à l’entretien de la douleur : des manifestations psychopathologiques, une demande insistante de recours à des médicaments
ou à des procédures médicales souvent invasives alors même que le patient
les déclare inefficaces, une difficulté du patient à s’adapter à la situation.
La douleur chronique concerne 30 % des Français adultes à un moment de leur vie, toutes causes confondues (8).
L’HYPNOSE DANS LA DOULEUR CHRONIQUE
L’hypnose fait partie des approches psychocorporelles qui appréhendent la personne dans sa dimension à la fois corporelle et psychique. Ces méthodes nécessitent une forme d’appropriation, de découverte (mobiliser les ressources de la personne), allant jusqu’à un véritable apprentissage permettant une utilisation en autonomie, pour une autohypnose à visée antalgique.
Deux dimensions constituent l’hypnose : l’état de conscience modifiée et le rapport hypnotique (sentiment de détente, modification de l’orientation temporo-spatiale, hyper-absorption de l’attention, expérience de réponse quasi automatique, diminution du jugement et de la censure) (11). Le processus de la transe en hypoanalgésie fait appel à un réseau d’activation/désactivation de grandes structures cérébrales (insula, cortex préfrontal, thalamus, cortex primaire et secondaire, cortex cingulaire).
La méthode hypnotique s’oppose aux situations de tension musculaire et émotionnelle liées à la douleur et au stress. Elle interrompt le cercle vicieux douleur-tension-stress. En fonction du type d’exercice hypnotique, l’activité des zones émotionnelles du cerveau ou celles de la sensation est diminuée. Les indications sont, de ce fait, très larges et tout type de douleur peut bénéficier d’un accompagnement par hypnose et, plus encore, de la pratique de l’autohypnose (12).
Par ailleurs, l’hypnose et l’autohypnose sont particulièrement utiles dans le contexte de la douleur aiguë et en particulier procédurale (ponction lombaire, sutures, chimiothérapie…).
EN CAS DE MIGRAINE
Dans la migraine, la prise en charge médicamenteuse peut être utilement complétée par la relaxation, la méditation de pleine conscience, la TCC ou encore la pratique de biofeedback qui emprunte à plusieurs approches psychocorporelles (autohypnose, relaxation, pleine conscience, cohérence cardiaque). Ces techniques agissent sur le stress et l’anxiété induits par les migraines. Pour tous ces patients sévèrement affectés, ces approches peuvent améliorer leurs migraines mais aussi l’impact de celles-ci sur la qualité de vie, à condition de les pratiquer régulièrement et de manière autonome (6).
TCC, HYPNOSE… COMMENT S’ORIENTER ?
Nombre de centres de traitement de la douleur proposent l’hypnose ou la TCC dans le cadre d’un programme thérapeutique multimodal, après évaluation par un médecin algologue. Des questionnaires d’évaluation (questionnaire HADS, échelle de catastrophisme PCS) mettent en évidence les composantes prédominantes d’anxiété, de dépression ou les cognitions dysfonctionnelles susceptibles d’entretenir ou d’amplifier la perception douloureuse.
Cependant, moins de 3 % des patients douloureux bénéficient d’une prise en charge dans un des centres spécialisés où peuvent être délivrées les TCC et l’hypnose. D’où la nécessité en soins primaires d’orienter rapidement le patient vers l’Association française de thérapie comportementale cognitive (AFTCC), qui possède un annuaire des médecins, psychiatres et psychologues formés à la TCC, en particulier dans le contexte de la douleur chronique (13).
Concernant la pratique de l’hypnose, rien n’encadre aujourd’hui son exercice. Des organismes formateurs tiennent à jour des annuaires de praticiens, dont l’Association française pour l’étude de l’hypnose médicale (Afehm) (14).
Lorsqu’un médecin est formé à l’hypnose ou à la TCC, l’Assurance maladie prend en charge la séance sur la base d’une consultation standard avec dépassement d’honoraires. Si le praticien est psychologue, le remboursement des soins peut intervenir à la condition préalable d’une prescription médicale (adressage) conformément à une récente législation en la matière (dispositif MonPsy, voir p. 16 du n° 2981 et p. 7 du n° 2982 du Généraliste).
Hélène Joubert (rédactrice) avec le Dr Grégory Tosti (médecin algologue, hypnothérapeute et acupuncteur dans le Centre d’évaluation et de traitement de la douleur de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne Billancourt, et enseignant pour le diplôme universitaire d’hypnose médicale de la faculté Paris-VI)
Le Dr Grégory Tosti déclare n’avoir aucun lien d’intérêts avec le sujet, si ce n’est la publication de deux ouvrages Le Grand Livre de l’hypnose, éditions Eyrolles (2014), La Douleur. Je fais face avec l’hypnose, éditions In press (2021).
BIBLIOGRAPHIE
1- Prendre en charge la douleur chronique avec les thérapies médicamenteuses. Marie-Jo Brennstuhl. Ed Dunod 2018.
2 - Moisset X. et al. Traitements pharmacologiques et non pharmacologiques de la douleur neuropathique : une synthèse des recommandations françaises. Douleur analg. DOI 10.3166/dea-2020-0113
3 - Prise en charge du patient présentant une lombalgie commune. Fiche mémo HAS/ Mars 2019.
4 - Rapport INSERM 2020 – Synthèse et reco sur la fibromyalgie (expertise collective) Fibromyalgie, Éd EDP Sciences, 2020.
5 - Société Française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD). Recommandations diagnostiques et de prise en charge thérapeutique des syndromes douloureux régionaux complexes : les recommandations de Lille (2019) Douleur analg. (2019) 32:155-164.
6 - Demarquay G. et al. Revised guidelines of the French headache society for the diagnosis and management of migraine in adults. Part 3: Non-pharmacological treatment Revue Neurologique. Volume 177, Issue 7, September 2021, Pages 753-759.
7 - Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l’évaluer et orienter le patient. Consensus formalisé, décembre 2008.
8 - SFETD et centre national de ressources douleur (CNRD) La douleur en questions. Quand les professionnels de Santé vous expliquent la douleur et les traitements (2018).
9 - Dr Françoise Laroche. La Douleur, des recommandations à la pratique - n°4 - Avril 2007
10 - Françoise Laroche, Philippe Roussel. Douleur chronique et thérapies comportementales et cognitives. Éd In Press, 2102.
11- Prendre en charge la douleur chronique avec les thérapies médicamenteuses. Marie-Jo Brennstuhl. Ed Dunod 2018.
12 - La Douleur en questions. Société d’étude et de traitement de la douleur Ministère de la Santé et de la Protection sociale https://solidarites-sante.gouv.fr
13 – Site de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive. https://www.aftcc.org
14 - Site de l’Association française pour l’étude l’hypnose médicale. https://www.hypnose-medicale.com
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
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