Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Alexandra avait toujours voulu être médecin. Son inclination pour les sciences et sa force de caractère firent d’elle, à seulement trente ans, un des médecins spécialistes en réanimation aux urgences de l’hôpital. Elle disait avec fierté qu’elle travaillait dans l’heure d’or, ce laps de temps qui suit le traumatisme ou l’accident du patient, et dans lequel la rapidité de sa prise en charge et des premiers soins reçus augmentent ses chances de survie.
Alexandra avait la vie dont elle avait rêvé, mais son rêve prit fin dans un violent accident, lorsqu’un soir, un automobiliste coupa la trajectoire de son scooter. Ce fut sa propre équipe qui la prit en charge. À voir défiler les néons blafards du couloir des urgences et les visages de ses collègues lui répéter de rester avec eux, Alexandra comprit très vite la gravité de son cas. Alors que des mains soulevaient son corps, tandis que d’autres massaient son cœur, juste avant de tomber dans un trou sans fond, elle se souhaita, non sans ironie, la bienvenue dans l’heure d’or.
Deux mois et trois opérations plus tard, elle se retrouva dans un centre de réadaptation fonctionnelle. Elle s’accrochait du mieux qu’elle pouvait à d’infimes progrès. Pouvoir remarcher un jour était son objectif, parce que quand elle cessait d’y croire, après une journée plus douloureuse que les autres, Alexandra s’enveloppait dans les brumes de la dépression.
Pour combler le temps et chasser ses idées noires, elle fit la connaissance de l’occupant de la chambre 12. C’était le patient le plus incroyable : le docteur Vincent Lacour avait été chirurgien militaire, mais ce qui enflammait les esprits étaient ses surprenants et nombreux tatouages. Ceux qui les avaient vus racontaient que les dessins étaient si réalistes qu’ils paraissaient presque surnaturels. Les deux médecins prirent rapidement plaisir à se retrouver pour discuter.
Au cours d’une conversation, Alexandra découvrit que Vincent suivait une chimiothérapie et qu’affaibli par son traitement, il avait fait une mauvaise chute. À soixante ans, veuf et sans descendance, il ne voyait plus de raison de se battre. Alexandra fut troublée par cet aveu de renoncement qui la mettait face à ses propres faiblesses. Dans le fond, pouvait-elle encourager cet homme, elle qui renonçait parfois, tant sa douloureuse rééducation lui coupait le souffle et l’envie de vivre ? Quel avenir pouvait-elle envisager ? Pourrait-elle encore exercer ? Avait-elle des raisons de se battre ?
Vincent sentit son trouble et, pour la réconforter, il lui proposa de lui raconter l’étonnante histoire de ses tatouages. Alexandra apprécia cette attention et retrouvant le sourire, exigea avec malice d’être l’unique bénéficiaire de ses confidences. Elle pourrait ainsi parader aux yeux de tous ceux qui fantasmaient sur « l’énigmatique docteur Lacour ».
Vincent accepta et ajouta qu’il l’investirait d’une mission. Au moment où ils scellèrent leur accord par une poignée de main, Alexandra entrevit les contours d’un tatouage représentant un paysage coloré sur l’avant-bras droit. Saisissant son regard admiratif, Vincent lui murmura : « Chère Alexandra, gardons un peu de mystère pour demain… ».
Ce soir-là, le docteur Lacour s’endormit serein. Il savait qu’il venait de trouver celle qui lui permettrait d’accomplir son dernier voyage. Il pourrait enfin transmettre son lourd secret et terminer sa quête.
Doria Lescure est originaire d’Albi et vit à Paris depuis plus de 30 ans. C’est après avoir parcouru le site communautaire de littérature courte short Edition, qu’elle s’est décidée à rédiger quelques nouvelles : ses personnages sont des doubles probables, toujours prompts à vivre l’aventure, pourvu que les lignes les emportent ailleurs, là où les histoires commencent.
Avec la collaboration de
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#4 : Des indices tatoués
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#5 : La Porte rouge et or
#6 : De l’autre côté
#2 : L’énigmatique docteur Lacour
#4 : Des indices tatoués
#1 : Alexandra fait une rencontre
#5 : La Porte rouge et or
#3 : Les Carnets de Gloria
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