Par Patrick Ferrer
Le commissaire Desjoux avait laissé son équipe sur place pour faire le porte-à-porte des voisins. Amélie, la légiste, avait déjà fait évacuer le corps sans le consulter. Il était furieux : en tant qu’officier chargé de l’enquête, elle ne pouvait pas se permettre d’outrepasser ainsi son autorité.
Il déboula dans la salle d’autopsie avec la ferme intention de la recadrer. Un bruit aigu de scie électrique l’arrêta net. La jeune femme était en train de s’attaquer à la cage thoracique de la victime. Il eut un haut-le-cœur en la voyant plonger ses mains fines dans l’amas sanguinolent et en retirer un organe de la taille d’une mangue qu’elle déposa délicatement sur la balance.
— Tu devrais mettre un masque, dit-elle sans même lever les yeux.
— Tu es seule ? Le protocole…
— C’est le jour de l’an, Paul. Je ne vais pas déranger un identificateur pour ça.
— Et le Procureur ? Tu as son autorisation, n’est-ce pas ?
Elle le regarda avec un air moqueur.
— Tu veux aller le déranger toi-même ? Tu sais bien que l’autopsie est obligatoire dans tous les cas de suicides potentiels. Et elle doit se faire le plus rapidement possible après le décès. Je dirai que j’ai eu ton autorisation. Ça devrait suffire, vu les circonstances.
Desjoux manqua s’étrangler. Cette fille allait lui coûter son job ! Il allait lui demander de remettre cet organe là où elle l’avait pris lorsqu’elle l’arrêta net.
— On a déjà chopé la coupable, tu sais. J’essaie simplement de déterminer la cause exacte de la mort.
— Qu’est-ce que… ? Quelle coupable ?
Amélie se dirigea vers l’étagère du fond et en rapporta une éprouvette au fond duquel s’agitait une petite chose grise.
— Elle nous a donné du mal mais on s’y est mis avec toute l’équipe technique et on a fini par l’attraper.
Au fond du verre, deux petits yeux noirs fixèrent Desjoux avec un mélange de curiosité et de crainte.
— Tu n’es pas sérieuse !
— La musophobie est plus répandue qu’on ne le croit, surtout chez les jeunes femmes comme notre victime.
— Muso… quoi ?
— La peur des souris. Dans les cas les plus graves, la victime peut être sujette à une peur panique, voire une syncope à la seule vue de l’animal. Se réfugier sur une chaise ou une table est un réflexe assez fréquent.
— Tu veux dire… ?
— La victime était une maniaque de la propreté. Je suppose que quand elle a trouvé ce paquet de biscuits à moitié rongé, ça l’a plongé dans un état d’angoisse aiguë. Ça ne s’explique pas, tu sais, ce genre de choses.
— Ce serait… un accident ? Elle est montée sur cette chaise dans un moment de panique et elle a basculé ? Avec la fenêtre ouverte, en plein hiver ?
Amélie fit glisser son masque.
— Tu n’as sans doute pas remarqué. On avait une très belle vue sur le feu d’artifice depuis le cinquième étage.
Desjoux secoua la tête.
— C’est le nouvel an, alors, qui l’a tuée ?
Amélie sourit tristement.
— On peut dire ça.
Elle lui tendit l’éprouvette dans laquelle la minuscule souris griffait le verre en vain.
— Tu veux faire quoi de notre petite tueuse ?
Desjoux haussa les épaules.
— On a déjà eu une victime ce soir.
Il prit l’éprouvette et sortit du bâtiment. Partout dans les rues, les gens criaient et se congratulaient en célébrant la nouvelle année. Desjoux descendit sur les quais de la Seine et laissa filer le petit animal. Elle eut un instant d’hésitation, leva son petit museau vers lui comme pour dire quelque chose avant de disparaître rapidement dans l’obscurité.
— Bonne année, soupira-t-il.
Une nouvelle histoire courte dans notre édition du 2 février
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Dans les combles (5/6)
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