Il existe un lien fort entre douleur et sommeil. On observe au cours de différents syndromes douloureux des troubles du sommeil : diminution de son efficacité et perturbation de son architecture. Réciproquement, une mauvaise qualité de sommeil affecte de façon péjorative les phénomènes douloureux. De plus, la fatigue participe au déconditionnement avec des conséquences sur le psychisme et la réduction de l’activité physique. Plus de deux tiers des douloureux chroniques se plaignent de troubles du sommeil et plus de la moitié des insomniaques souffrent de douleurs chroniques. L’insomnie est hyperalgisante. En effet, l’allongement de la durée du sommeil améliore la tolérance à la douleur, avec un bénéfice d’autant plus grand que la dette de sommeil est importante.
Les troubles du sommeil sont multifactoriels. Ils peuvent être liés à la douleur ou à la pathologie responsable. Mais les traitements contre la douleur peuvent aussi les aggraver, en interférant avec les circuits dopaminergiques et sérotoninergiques impliqués dans la régulation du sommeil.
Prudence avec les benzodiazépines
Parmi les médicaments les plus prescrits qui posent problème, on trouve les benzodiazépines (BZD) et les hypnotiques non BZD. Environ 10 millions de Français en consommeraient, et ils sont volontiers prescrits si la douleur empêche de dormir. Le clonazépam a été longtemps utilisé dans les douleurs chroniques de tous types, alors qu’il n’avait pas fait la preuve de son efficacité et entraînait des troubles cognitifs, ainsi qu’une aggravation des perturbations du sommeil. Sa prescription a été restreinte depuis dix ans. On a maintenant volontiers recours aux BZD, qui certes peuvent aider à passer un cap, mais dont la consommation au long cours altère sévèrement la structure du sommeil. « Il existe toujours une réticence à aborder le sommeil par des moyens non médicamenteux comme l’activité physique, et on prend le problème à l’envers alors qu’aucune pilule ne permet de resynchroniser le sommeil », s’indigne le Pr Éric Viel, chef de service au centre d'évaluation et de traitement de la douleur de Nîmes.
Recourir aux opioïdes LP ?
Seuls les opioïdes à durée d’action prolongée améliorent le sommeil et la qualité de vie. Mais faut-il privilégier les formes à libération prolongée (LP) plutôt qu’à libération immédiate, malgré un risque d’addiction plus élevé ? Deux publications récentes montrent que les opioïdes peuvent générer ou aggraver les troubles du sommeil. En effet, ils favorisent les apnées du sommeil et le risque cardiovasculaire qui en découle, surtout à des doses de 100 mg d’équivalent morphine par jour ou en cas d’association à des BZD, antidépresseurs ou gabapentinoïdes.
En fonction du type de récepteur ciblé par les molécules, elles agissent soit sur l’éveil soit sur le sommeil, ainsi que sur les circuits de la récompense et de mémorisation. On joue un peu aux apprentis sorciers en prescrivant ces traitements. Leur consommation au long cours peut provoquer une hyperalgésie.
Antidépresseurs et gabapentinoïdes : quels effets ?
Les antidépresseurs (AD) sont très souvent prescrits dans la douleur chronique, même si on manque d’arguments en faveur de leur efficacité, en dehors de la duloxétine dans la neuropathie diabétique et de quelques résultats positifs avec les AD tricycliques. Les AD stimulants (imipramine, fluoxétine, paroxétine, venlafaxine) induisent de grandes difficultés d’endormissement et on doit leur associer des molécules favorisant le sommeil. À l’inverse, ceux à effets anxiolytiques (mirtazapine, trimipramine) favoriseraient le sommeil, non pas par une action sédative mais par la resynchronisation du rythme circadien.
Les gabapentinoïdes semblent avoir moins d’effets sur le sommeil, mais lorsqu’on augmente les doses (1,8 g par jour), le risque de prise de poids et d’arrêt du traitement devient très élevé.
Il faut donc régulièrement réévaluer les antalgiques, penser à leurs potentiels effets adverses, privilégier les traitements locaux et ne pas négliger les thérapies non médicamenteuses. Il reste beaucoup à faire pour lutter contre diverses croyances et attitudes, que ce soit vis-à-vis de la douleur chronique ou de l’insomnie. Celle-ci ne doit pas être attribuée à une cause univoque, ni rendue responsable de tous les problèmes. « Que ce soit pour la douleur chronique ou l’insomnie, nous plaidons pour l’activité physique et les thérapies cognitives et comportementales, plus opérantes que toutes les molécules, et dont on connaît le bénéfice sur les rythmes circadiens, conclut le spécialiste. Il est indispensable d’adopter une approche bio-psycho-sociale et d’adapter la prescription aux mécanismes de la douleur, et non pas à sa seule intensité ».
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