À QUEL ÂGE est-on vieux ? Selon un sondage récent (groupe Prévoir-IFOP), les Français fixent l’âge de basculement dans la vieillesse à 69 ans. Mais aujourd’hui le mot vieux n’a plus court, ni même ceux de troisième ou de quatrième âge. Il n’y a plus que des personnes âgées ou, encore plus politiquement ou marketingment correct, des seniors (un âge que les dictionnaires, quand il ne s’agit pas de sportifs, font commencer à 50 ans).
Depuis 1971, les habitants de la douce France ont gagné presque dix ans d’espérance de vie à la naissance : 9,5 ans pour les hommes, partis de plus bas (68,3 ans en 1971, 77,8 ans en 2009), 8,6 ans pour les femmes (de 75,9 à 84,5). L’espérance de vie en bonne santé à la naissance a elle aussi progressé, passant de 60 ans en 1995 à 62,5 en 2009 pour les hommes, de 62,4 à 63,2 pour les femmes. Et à 65 ans, on peut encore espérer connaître 9,2 années en bonne santé si l’on est une femme et 8,8, à peine moins, si l’on est un homme.
Tous centenaires.
Du coup, fêter son centième anniversaire, fait encore rare dans les années 1970, devient presque « banal », à en croire l’INED (Institut national d’études démographiques). Ils étaient 1 122 au 1er janvier 1970, 15 474 à la même date de 2011, ils pourraient être plus de 73 000 en 2040. Mieux encore, une nouvelle classe d’âges est née dans les années 1980, les supercentenaires, ceux qui ont fêté leur 110e anniversaire. Sans parler de Jeanne Calment, notre record mondial de longévité, morte en 1997 à l’âge de 122 ans, 5 mois et 14 jours.
Alors que jusqu’aux années 1970, on considérait que la limite de la durée de vie humaine se situait autour de 120 ans, les scientifiques n’excluent plus, souligne l’INED, que des êtres humains puissent vivre jusqu’à 150 ans, voire davantage, si nos connaissances de la génétique et du mécanisme de vieillissement biologique s’améliorent et permettent de ralentir ou de stopper les processus biologiques. « Nous sommes tous des Jeanne Calment en puissance, affirme en 1997 la gérontologue Françoise Forette. Nos enfants et nos petits-enfants le sont encore davantage. »
Quoi qu’il en soit, les familles de cinq générations se multiplient. Plus de 3 300 sont recensées et étudiées en 1999 à l’initiative de Novartis, en partenariat avec la Fondation nationale de gérontologie. Elles constituent un antidote contre le sentiment d’être trop vieux, révèle notamment l’enquête. Par exemple, dans la 4e génération (moyenne d’âge 71 ans), si on se trouve trop vieux pour avoir des activités physiques importantes (63 %), on est trop jeune pour avoir une vie tranquille et ne plus rien faire (82 %).
Pour ces familles, l’hygiène et le progrès social sont les premiers facteurs qui ont favorisé leur émergence. Pour les démographes, c’est la révolution cardio-vasculaire des années 1970 qui a ouvert une nouvelle ère de progrès de longévité. Les succès contre les accidents de la route, l’alcoolisme et le tabagisme ont aussi contribué, entre autres, à ces avancées.
1,1 % du PIB.
Si l’on est vieux de plus en plus tard, si, comme en témoignent Simone Veil ou Clint Eastwood, à 80 ans on n’est plus un vieillard, la vieillesse fait toujours peur. Avec le spectre de l’Alzheimer (voir encadré) et de la dépendance. Encore un mot de banalisation récente, qui recouvre les handicaps auxquels peu échappent aux grands âges, mais aussi une priorité du gouvernement – elle coûte au moins 22 milliards par an dépenses publiques – et un marché en plein développement (établissements, services, appareils divers, assurances, etc.).
En2002,pour faciliter le financement du maintien à domicile ou du séjour en maison de retraite, l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) prend la place de la Prestation spécifique dépendance. Au 31 décembre 2009, 1,2 million de personnes (handicapés compris) en bénéficient, 700 000 à domicile et 440 000 en établissement. En 2004, après la canicule de 2003 et ses 15 000 morts, naît la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), pour contribuer au financement des politiques d’aide à l’autonomie des personnes âgées et handicapées. Ses recettes viennent principalement de la journée de solidarité, qui, après les cafouillages des premières années, n’est plus une journée fixe (le lundi de Pentecôte), les employeurs versant, quel que soit l’accord interne, une contribution de 0,3 % de la masse salariale (2,2 milliards en 2009) ; elles viennent aussi de la contribution sociale généralisée, dont elle touche 0,1 %.
On compte actuellement 800 000 personnes âgées dépendantes, elles seront 1,2 millions en 2040. Avec l’arrivée à des âges élevés de la génération du baby-boom et l’allongement de l’espérance de vie, la population des 75 ans et plus sera multipliée par 2,5 entre 2000 et 2040, pour atteindre 10 millions de personnes. Une personne sur quatre des générations d’après-guerre risque de connaître la dépendance. La France dépense aujourd’hui 1,1 % de son PIB pour la dépendance des personnes âgées, la proportion pourrait passer à 1,5 % en 2025.
Bien vieillir ?
Mais rien n’est joué avant 80 ou 90 ans. Bien vieillir, cela se prépare, cela s’apprend. Le premier programme Bien vieillir est lancé en 2003 par le gouvernement Raffarin à destination des 55 ans et plus. Il est suivi en 2007 par un plan national, qui s’inscrit dans le projet européen Healthy Ageing. Il vise plus de 10 millions de personnes avec une prévention ciblée pour empêcher ou retarder l’apparition de pathologies ou d’incapacités et maintenir ou favoriser l’investissement des personnes âgées dans la vie sociale. Saisi en 2010 par le directeur général de la Santé d’une demande d’évaluation et de recommandations pour un nouveau plan, le Haut Conseil de la santé publique vient de rendre son verdict. La thématique du vieillissement réussi apparaît « éminemment pertinente compte tenu du contexte démographique français » et « ambitieuse car elle s’adresse à une partie large de la population française et elle se fonde sur une approche préventive ». Mais « on peut déplorer un déficit de gouvernance, de structuration et de moyens » et il s’agit « davantage d’un ensemble de mesures que d’un plan stricto sensu » (ce qu’on pourrait dire de bien d’autres plans gouvernementaux, mais c’est une autre histoire). Ces critiques fondent les recommandations qui appellent à « une conduite du changement ».
« La vieillesse est si longue qu’il ne faut pas la commencer trop tôt », comme l’écrit Benoîte Groult.
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