LE 29 OCTOBRE 1979, l’Organisation mondiale de la santé déclarait que la variole était enfin éradiquée de la surface de la terre. Pour les pays développés, cette date symbolique était porteuse d’un espoir de maîtrise, voire d’éradication des maladies infectieuses, à la faveur notamment de la généralisation de l’hygiène et des progrès scientifiques, en particulier la découverte des antibiotiques. Jean-Pierre Door, député-médecin UMP, rapporteur pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en 2005, d’un texte sur le risque épidémique, rappelait qu’à « la fin des années 1970, beaucoup de responsables étaient convaincus de la disparition des maladies infectieuses dans les pays développés du Nord, à un point tel que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris se posait la question de la fermeture de lits d’infectiologie ».
Pourtant, quelques fissures ébranlaient déjà ce bel optimisme des années 1960-1970. Au cours de l’année 1976, pas moins de trois nouvelles maladies sont identifiées : la légionellose et la maladie de Lyme aux États-Unis, la fièvre hémorragique Ebola en Afrique. Le monde découvrait le phénomène d’émergence et de réémergence des maladies infectieuses alors que la peur d’une pandémie grippale hantait toujours les esprits, après l’épisode meurtrier de la grippe espagnole de 1918-1919 (A H1N1, 40 millions de décès), puis celui de la grippe asiatique en 1957-1958 (A H2N2, 4 millions de morts) et de la grippe de Hong-Kong en 1968-1969 (A H3N2, 2 millions de morts).
Toujours en 1976, quelques cas de grippe porcine, dont 1 décès et 3 autres cas graves, découverts au sein d’un contingent de l’armée américaine basé à Fort Dix (New Jersey) ont conduit le président américain, Gérald Ford, et les experts à lancer une campagne massive de vaccination pour un coût de 140 à 200 millions de dollars. « Nous n’avons pas le droit de risquer des vies humaines pour des considérations financières », affirmait alors un responsable du ministère de la Santé. L’alerte n’était finalement pas justifiée car les cas étaient isolés et le risque épidémique restreint, mais elle laissera des traces en raison de l’épidémie de Guillain-Barré iatrogène qui obligea à interrompre la campagne de vaccination.
Sras, H5N1 et H1N1.
Les années 1980 et l’émergence du sida, sa diffusion mondiale, l’impuissance des débuts à y apporter une réponse, marqueront la fin des illusions. « Il y aura toujours des maladies infectieuses », résume un rapport publié en juin 2006 par l’Académie des sciences. Bactéries, virus, champignons et parasites sont ubiquitaires et les activités humaines, voyages intercontinentaux, urbanisation ou migrations, contribuent de plus en plus fréquemment à en faire des menaces pour l’homme (depuis 1973, plus de 30 maladies virales sont apparues). Or « l’émergence est a priori un événement imprévisible et nécessite un état de préparation permettant de le gérer collectivement », précise l’Académie des sciences. L’apparition en 2003 du sras (syndrome respiratoire aigu sévère) puis la réapparition de la menace de grippe aviaire (H5N1), surtout en 2005, et celle de la grippe A(H1N1) en 2009, vont accélérer cette prise de conscience.
En2003, l’OMS lance, pour la première fois de son histoire, une alerte épidémiologique mondiale. À cette occasion, l’organisation mondiale démontre la pertinence de son système de surveillance via Internet (Global Outbreak Alert and Response Network ou GOARN) et sa capacité à coordonner une réponse efficace à la fois grâce au réseau virtuel de laboratoires qui ont identifié l’agent causal en moins d’un mois (un coronavirus) et à la mobilisation des épidémiologistes qui ont identifié les mesures de lutte les plus efficaces pour stopper l’épidémie. Un test grandeur nature, en quelque sorte, qui a permis de peaufiner le nouveau règlement sanitaire international adopté en 2005 et entré en vigueuren2007.
L’heure de la réévaluation.
Les plans nationaux qui en découlent sont fortement influencés par le risque pandémique que fait peser les cas de grippe aviaire H5N1. Le plan français est loué pour sa qualité et cité parmi les meilleurs. Ni lui ni l’organisation mise en place par l’OMS, qualifiée parfois d’« oukase », n’échapperont aux critiques pour la gestion de la grippe A(H1N1)v après la nouvelle alerte lancée en avril 2009 par l’OMS. Manque de souplesse, manque d’implication des professionnels de santé, coût des vaccins et des antiviraux trop élevé en regard d’une épidémie qui s’est révélée moins grave que redouté, le dispositif est à l’heure de la réévaluation. Internet, qui avait un atout dans la gestion du sras, est accusé d’avoir brouillé la communication et véhiculé les rumeurs les plus folles notamment sur la vaccination.
Alors, sommes-nous prêts ? La question était posée lors d’un colloque organisé en 2008, en marge de l’exposition Epidémik à la cité des sciences (Paris). La réponse de Patrick Zylberman, historien de la médecine et de la santé publique, un des commissaires de l’événement, est sans équivoque : « De l’avis général, c’est non (… ) On est certainement aujourd’hui plus conscient, mieux outillé intellectuellement pour prendre en compte le phénomène pandémique et épidémique, alors qu’au moment du sras, ce n’était pas le cas. De là à dire que nous sommes prêts, il y a une marge que l’on ne peut pas franchir. Les plans pandémiques ne suffisent pas. »
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