Ressources humaines : le casse-tête pour redonner de l’attractivité financière aux métiers

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Publié le 18/10/2024
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Dans un contexte de finances publiques tendu avec des hôpitaux lourdement endettés, les pouvoirs publics se creusent la tête pour trouver des solutions à la pénurie de médecins et de soignants. Ils ont actionné plusieurs leviers dont une meilleure attractivité financière.

Depuis plusieurs années, la pénurie de soignants pénalise le fonctionnement des établissements de santé

Depuis plusieurs années, la pénurie de soignants pénalise le fonctionnement des établissements de santé
Crédit photo : BURGER / PHANIE

À l’été 2024, 61 % des services d’urgence ont fonctionné en mode dégradé, selon une enquête de SAMU-Urgences de France (SUDF) publiée en septembre. Moins de médecins et de soignants ont été présents pour accueillir un nombre de patients toujours en augmentation, avec des passages aux urgences en hausse de 3 % par rapport à 2023. Mais « la situation a été moins catastrophique que prévu », a indiqué l’organisation. Ajoutant : « c’est au prix d’un nombre considérable d’heures de temps additionnel » faute de recrutements. La raison principale est le manque de lits d’aval. Les services étant souvent saturés et ayant dû fermer des lits, là encore en partie faute de personnel soignant et médical.

Tout a basculé lors de la crise sanitaire. Les pouvoirs publics qui ont pris conscience de la problématique ont accordé en 2020 des moyens financiers à la suite du Ségur de la santé qui ont permis de redonner de l’attractivité aussi bien aux paramédicaux qu’aux praticiens hospitaliers. Pourtant, il a fallu plusieurs années pour que le Ségur porte ses fruits. Et le trou d’air le plus important s’est produit juste après la crise en 2022 avec un départ important de professionnels de santé de l’hôpital public. Depuis, rares sont ceux ayant quitté le navire à l’avoir réintégré. Ainsi, en novembre 2023, l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) se félicite d’enregistrer 16 % de départs de paramédicaux en moins par rapport à 2022. Nicolas Revel, son directeur général, qui ambitionnait de rouvrir 400 lits l’an dernier, estime : « Nous sommes en train de commencer à inverser la spirale négative de l'attractivité, même si cela reste forcément fragile ». Cette évolution positive s’est poursuivie depuis lors, au moins dans les CHU.

Prime de 183 euros net par mois

Le premier levier qui a redonné envie de travailler dans les établissements de santé a été la prime de 183 euros net par mois accordée aux paramédicaux par le gouvernement. Conséquence positive, les hôpitaux qui ont revalorisé leurs soignants ont travaillé sur des dispositifs pour leur accorder des facilités (logements, crèches, etc.), des semaines de quatre jours. À ce sujet, l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap) a d’ailleurs publié un guide sur la modulation des horaires à destination des directions des établissements de santé.

Après avoir obtenu une revalorisation de leurs gardes et astreintes dans le cadre du Ségur, les syndicats de praticiens hospitaliers reprochent cependant au gouvernement de ne pas être allé assez loin. L’instabilité ministérielle est un facteur aggravant, selon eux. Après l’arrivée de la nouvelle ministre de la Santé, la Dr Geneviève Darrieussecq, les syndicats ont adressé leur liste de courses au gouvernement.

Revalorisation de la grille

Pour donner aux PH l’envie de rester travailler à l’hôpital, la revalorisation de la grille d’émoluments a certes permis de remonter les salaires en débuts de carrières, mais a « spolié » tous ceux qui ont été nommés avant le 1er octobre 2020 de quatre années d’ancienneté. Conséquence, Actions Praticiens Hôpital (APH) demande la reprise des négociations entamée avec la DGOS au printemps 2023 « afin de corriger ces inégalités ».

Les jeunes PH ne sont plus comme les anciennes générations qui faisaient des semaines à rallonge. Ils réclament un assouplissement de leurs horaires, voire travaillent à temps partiel. Le décompte horaire n’étant toujours pas appliqué malgré le rappel du Conseil d’État (arrêt du 22 juin 2022 qui précise les obligations pour les établissements de santé de respecter le temps de travail de 48 heures par semaine), les organisations revendiquent que leurs heures supplémentaires soient rémunérées au-delà de la 39e heure. Les obligations de service de 48 à 60 heures devront être remplacées par celles à 39 heures.

Permanence des soins

D’autres chantiers concourant à une meilleure attractivité des PH concernent la permanence des soins (reconnaissance de la pénibilité pour le calcul de la retraite et revalorisation des astreintes), inscrite dans la LFSS à partir du 1er juillet 2024, mais jamais traduite réglementairement, et la gouvernance médicale des établissements qui permettrait de faire désigner les chefs de service et de pôle par leurs pairs, et plus par les directions.

L’ensemble des mesures du Ségur de la santé a contribué à « revaloriser globalement l’exercice médical hospitalier d’environ 6 % »

Lors des élections professionnelles de juin dernier, l’INPH, la CMH et le Snam-HP estimaient que l’ensemble des mesures du Ségur de la santé négocié en juillet 2020 avaient contribué à « revaloriser globalement l’exercice médical hospitalier d’environ 6 % ». Ce trio attend une revalorisation complémentaire globale de 24 % de toutes les grilles salariales (PH, MCU-PH et PU-PH), « compte tenu de l’absence d’évolution significative des revenus depuis plus de vingt ans ». « Nous attendions la suite du Ségur pour intervenir sur l’attractivité du milieu de carrière. Nous n’avons rien fait depuis 2020 », complète la Dr Rachel Bocher, présidente de l’INPH.

Intérim médical, l’épine persistante

On a longtemps cru que l’intérim médical permettrait de combler les trous dans la raquette médicale. Mais il s’est révélé l’épine persistante du système de santé. En juin dernier, un rapport de la Cour des comptes révèle qu’il a coûté à l’hôpital, en 2022, 147 millions d’euros, en progression de 25 % par rapport à 2017. Les rapporteurs déplorent les tentatives avortées de contingentement du phénomène par les pouvoirs publics : en 2017, le décret Buzyn qui a instauré un salaire maximal brut de 1 170 euros pour 24 heures, n’a pas eu l’effet escompté.

La loi Rist du 26 avril 2021 s’est également attaquée à ce problème. La députée et rhumatologue Stéphanie Rist a élargi le périmètre de la régulation de ces contrats discutés en tête à tête entre directeur d’hôpital et médecins parfois qualifiés de « mercenaires » pour leur sens du commerce. Puis elle a tenté de renforcer l’attractivité de l’emploi médical à l’hôpital via la création d’un contrat de trois ans maximum, dit de type 2, et d’une prime de solidarité territoriale (PST). Mais la rémunération de ce nouveau contrat étant « très attractive », « cette régulation a créé des effets d’aubaine aux conséquences préoccupantes sans éviter les fermetures ponctuelles ou récurrentes de services », constate la Cour. Là encore, avec ces contrats qui s’apparentent à de « l’intérim déguisé », les hôpitaux sont perdants.

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Rapport : Intérim médical et permanence des soins dans les hôpitaux publics : des dérives préoccupantes et mal maîtrisées

La réforme contestée des retraites des hospitalo-universitaires

Une autre réforme est censée redonner de l’attractivité aux 6 300 hospitalo-universitaires (HU), celle sur la retraite. Les pouvoirs publics l’ont actée en septembre 2024 en faisant cotiser les HU à une caisse complémentaire de non-titulaires. Mais ils n’ont pas choisi l’option retenue par ces syndicats, soit un rattachement pour tous les HU au système de retraite de l’État. Un sujet supplémentaire de fort mécontentement des syndicats majoritairement hostiles aux contours de cette réforme. Ces derniers attendent de pied ferme la reprise des négos sur les carrières avec l’arrivée de la nouvelle ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq.


Source : Le Quotidien du Médecin