L’employé chargé de la maintenance de l’ASA vint faire sa visite hebdomadaire. Pour des raisons de sécurité évidentes, il se présenta vêtu d’une épaisse combinaison stérile ; seul son visage apparaissait derrière l’écran de plexiglas le protégeant d’une possible contagion par voie aérienne. Sur l’écran numérique du robot, il consulta les paramètres me concernant, fronça les sourcils et vint s’asseoir sur le bord du lit où je restais allongé, fébrile, lessivé.
Nous conversâmes un moment ; cette présence humaine me faisait un bien fou. En raison des risques de transmission du virus, plus personne n’osait franchir le seuil de mon appartement. Afin de m’offrir une note d’espoir, mon visiteur évoqua l’existence des Cliniques Life durant la discussion. Bien sûr, comme tout le monde, j’en avais entendu parler. On les disait miraculeuses, mais je savais aussi qu’elles étaient inaccessibles, réservées à une caste à laquelle je n’appartenais pas.
Puis arriva le Nouvel An. Comme à son accoutumée, mon oncle Boris m’appela sur mon Light phone pour m’adresser ses vœux. Je ne lui dis rien de la maladie qui me clouait au lit depuis des semaines, mais ma voix brisée dut l’alerter car deux jours plus tard, il vint me trouver.
Quand il pénétra dans la chambre et avança vers moi, j’aperçus dans son regard une lueur d’épouvante ; je ne devais pas être beau à voir… Je lui avouai la nature de mon mal en le priant de revêtir une combinaison mise à la disposition des visiteurs, mais il n’en fit rien et me répondit, blagueur, qu’il avait la peau dure ; pour le démolir, il lui en faudrait un peu plus qu’un rhume de matou !
Je pris des nouvelles de son activité. Cet ingénieur de formation courait inlassablement d’un continent à l’autre pour y bâtir des digues colossales. Ainsi, des métropoles comme la Nouvelle-Orléans, Canton ou Jakarta avaient été sauvées de la montée des océans grâce aux murailles d’oncle Boris, et ces prouesses m’emplissaient de fierté. Je savais aussi que ce métier l’avait considérablement enrichi, abondance dont il ne faisait jamais étalage.
Notre bavardage dura une petite demi-heure jusqu’au moment où, à bout de forces, je ne pus poursuivre. Nous restâmes alors tous deux silencieux en nous tenant simplement par la main. L’espace d’un instant, je crus voir mon visiteur s’essuyer furtivement la joue. Puis, constatant que le jour déclinait, il prit congé en m’assurant que nous nous reverrions bientôt.
Le lendemain, j’étais en sueur, grelottant dans mes draps quand le Light phone se mit à vibrer. L’ASA prit la communication et, du bout d’un de ses bras électroniques, me tendit l’appareil. Sur la ligne résonnait la voix cordiale d’une jeune femme aux inflexions anglo-saxonnes.
— Yohan Mayer ?
— Lui-même.
— Un virement vient de nous parvenir de la part de votre oncle, monsieur Boris Mayer. En conséquence de quoi je vous communique la procédure. Demain matin à sept heures précises se présentera une ambulance devant votre domicile. Ce véhicule vous conduira vers un aéroport privé dont je ne peux malheureusement vous indiquer la localisation. De là, une navette aérienne vous déposera dans une de nos unités où vous serez tout de suite pris en charge. La durée globale du transfert sera d’un peu plus de deux heures.
Je n’y comprenais rien.
— Le transfert ? Quel transfert ? D’abord, qui êtes-vous ?
— Oh pardonnez-moi… Je suis confuse. Bien sûr, j’aurais dû commencer par ça. Je suis Ruby, chargée de clientèle. Clinique Life. Europe du Nord.
Prochain épisode dans notre édition du 11 avril
Frédéric Nox vit à Nice où il se consacre à l’écriture et à la restauration d’œuvres d’art. Se définissant comme « raconteur d’histoires », il avoue l’influence du cinéma sur son travail de narration. Il poursuit actuellement deux projets : un recueil de nouvelles inédites et un premier roman court.
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