HISTOIRES COURTES - Le laboratoire du sommeil

L’irréfutable diagnostic (6)

Publié le 08/10/2015
Article réservé aux abonnés

Par Jeanne Mazabraud

Georges a l’impression d’être acteur dans une série télé. Ces invraisemblables rebondissements le laissent pantois. Il essaie de se ressaisir, passant en revue les faits : Dean B. meurt de façon inexpliquée à trois heures du matin. Dans le même temps, Alex G. le somnambule, brutalement tiré de sa crise par Francis K., prend peur et s’enfuit.

Avant de se plonger dans d’autres théories, Georges décide de téléphoner aux parents d’Alex G. : peut-être que leur fils – encore mineur – a réintégré leur domicile dans la nuit, indemne. Fait confirmé par le père du jeune homme, qui maugrée – mais modérément – contre la clinique « qui pourrait un peu mieux surveiller ses patients ».

Deuzio, Francis K. et Jacky, la veuve de Dean B. ne sont pas amants. Georges s’éponge machinalement le front, soulagé d’échapper au moins à une incongruité : le couple illégitime improbable uni dans le crime pour se débarrasser du mari encombrant. Ouf !

Jacky est passée tranquillement aux « aveux » pendant la somnolence de son frère. Longtemps, elle avait été dans l’ignorance des séjours de Dean B. à la clinique. Le dynamique – et tyrannique – septuagénaire, jaloux comme un pou, ne tenait pas à ce que sa quatrième épouse lui échappe comme les trois autres ; elles avaient gagné de somptueuses pensions en faisant valoir lors du divorce « l’instabilité nocturne » de leur époux. Francis K. tentait donc de se faire soigner à l’insu de sa compagne. Laquelle avait découvert le pot aux roses grâce à son frère.

Francis K. était aussi attaché à sa sœur qu’il avait son beau-frère en grippe. L’infâme lawyer plein aux as le méprisait au point de lui interdire sa demeure. Il voyait donc Jacky en cachette. Au cours d’un brunch en tête-à-tête, il avait fini par révéler à sa cadette le secret des hospitalisations de son époux, lui décrivant avec brio la tête du beauf lorsqu’ils s’étaient trouvé nez à nez, en pyjama, au laboratoire du sommeil. Quelle histoire ! Francis K. était passé du vert au framboise, avait éructé puis fini par supplier son beau-frère de garder le secret. Il paierait le prix. Combien Francis K. voulait-il ? Stupéfait par tant de morgue, humilié qu’un parent (même par alliance) le juge achetable, Francis K. avait tourné les talons… et avait sombré dans le sommeil. Les deux hommes ne s’étaient plus jamais adressé la parole. Francis K. avait-il eu des envies de meurtre ? Jacky fit la moue : peut-être mais ce bon gros mou n’aurait jamais eu le courage de passer à l’acte. Elle n’en aurait pas dit autant de cette teigne de Dean B.

Un silence de mort s’établit soudain dans le lobby. L’éminent Professeur Gil Mountain – dont le staff, avec l’accord de la police, avait sollicité l’expertise –, après avoir attiré l’attention de l’assistance, annonça avec autorité : « Mes amis, j’ai examiné le corps de Dean B. avec la plus grande attention. Le patient a succombé à une rupture d’anévrisme cérébral. J’ai délivré le permis d’inhumer. Madame B., je vous présente mes très sincères condoléances. »

Déjà la police se repliait, le hall de la clinique reprenait son allure normale, le staff avait libéré la salle d’attente. Georges et John s’apprêtaient eux aussi à quitter les lieux, un peu mal à l’aise de leurs élucubrations nocturnes. Il faudrait en rire un jour… Fred, le technicien, parka sur le dos, les frôla sans les voir. Un intense soulagement éclairait son visage anodin. Georges pourtant crut apercevoir dans son regard comme une maléfique jubilation… Allons, se dit le sleepdoctor, le manque de sommeil doit me jouer des tours.

 

Une prochaine histoire courte dans notre édition du 15 octobre

Avec la collaboration de   logo-fond-gris-2000_1.png



Source : Le Quotidien du Médecin: 9439