Soigner les adolescents, ça s’apprend

Le défi d’une médecine plus humaine

Publié le 27/10/2014
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Crédit photo : PHANIE

S’il devait exister une médecine idéale, celle de l’adolescent arriverait au premier plan. Une médecine plus globale, humaine, et propice à la rencontre : tel est le défi de cette « sous-spécialité ».

La médecine de l’adolescent a vu le jour dans les années 1960 sous l’impulsion de la pédiatre Iris Litt, en réponse aux spécificités, tant physiques que psychologiques, des adolescents. Vingt ans plus tard, les Prs Philippe Jeammet et Patrick Alvin figurent parmi ceux qui introduisent la discipline au sein des hôpitaux français. Une greffe qui a bien pris, au vu des Maisons des Ados qui fleurissent dans nos départements.

Savoir-faire et savoir-être

Qu’est venu apporter cette discipline hybride, mi-somatique mi-psychique ? « Un savoir-faire technique, mais surtout un savoir-être », énonce le Pr Daniel Marcelli, pédopsychiatre. Il y a près de 25 ans, ce spécialiste créait le D.I.U. « Médecine et Santé de l’Adolescent ». Aujourd’hui, le succès de cette formation transversale ne se dément pas. « Cet intérêt tient à son aspect transdisciplinaire, et à la présence permanente d’un enseignant qui fait le lien entre chaque cours », précise le Pr Marcelli. « Lien » semble être le mot d’ordre de la médecine de l’adolescent : lien entre les disciplines et lien avec le patient. « Il faut savoir tisser une alliance de soin avec l’adolescent », avance le pédopsychiatre. Car ce qu’un adolescent cherche avant tout c’est la rencontre, avec une personne entière, qui le considère suffisamment pour l’inciter à s’engager. « Si on ne regarde que sa part malade, c’est la porte ouverte aux désenchantements », avertit Daniel Marcelli. Il ajoute : « Cette attitude n’est pas évidente, car elle prend le contre-pied de la médecine technique qui nous a été enseignée. C’est pourquoi cette sous-branche est indispensable. Si on se réfugie dans les aspects techniques, l’ado risque d’être malmené ». Autre exemple à ne pas suivre : se substituer aux parents. S’il peut être tentant de « remonter les bretelles » à un ado qui ne prend pas son traitement, cette attitude est fortement déconseillée. « Quand on joue au flic, les patients jouent aux délinquants », fait remarquer le Pr Marcelli.

Non-dualité

Fréquemment observé, le manque d’adhésion d’un adolescent à son traitement reflète son hostilité à l’égard de sa maladie, et de son corps plus généralement. À trop se concentrer sur sa maladie, l’on risque de renforcer ce clivage. Pour le pédopsychiatre, « la médecine de l’adolescent est un art. L’art de montrer à l’ado qu’on a un souci de soin pour lui, avant que ce dernier ne le considère comme sien ». Le temps et l’alliance thérapeutique, indispensables à la prise en charge d’un adolescent, lui permettront petit à petit de s’approprier la maladie. Bien sûr, sur le fond de cette rencontre, la qualité des soins techniques ne doit pas être oubliée. Là encore, la médecine de l’adolescent justifie son intérêt des changements physiologiques majeurs du corps adolescent. L’on sait, par exemple, que la puberté induit une insulinorésistance. Ce qui complique la prise en charge des jeunes diabétiques, dont le déséquilibre glycémique ne tient pas, uniquement, au manque de compliance. « On préjuge que l’ado fait n’importe quoi avec son diabète, mais c’est parfois le diabète qui a tendance à faire n’importe quoi ! », expose Daniel Marcelli.

Tiers précieux

Particulièrement indiquée dans la prise en charge des maladies chroniques, ou aux prises en charges prolongées, la médecine de l’adolescent a aussi un intérêt en médecine quotidienne. À un âge où le patient ne supporte plus de se faire soigner par ses parents, le médecin généraliste a un rôle « extrêmement précieux », selon les termes du Pr Marcelli. Un rôle de tiers en quelque sorte. Dans cette période de vulnérabilité, « être au plus près de l’adolescent, et éviter par petites touches que l’adolescent ne sombre dans les excès peut être très bénéfique ». Le médecin de l’adolescent est en quelque sorte « un médecin généraliste qui ouvrirait la relation de soins à l’ensemble de la personne qu’il a en face » résume le Pr Marcelli. Un idéal que l’on pourrait étendre à tous les âges de la vie, « mais l’idéal n’est pas de ce monde » et, il est peu rentable de surcroît.

Dr Ada Picard

Source : Le Quotidien du Médecin: 9360