Olivier Bergeret ne se rendit pas au garage, ce matin-là. Depuis treize ans qu’il y travaillait, c’était la première fois. Il n’était jamais malade. Il échappait à toutes les grippes, angines, même les plus coriaces. Alors ça avait quelque chose d’un peu cocasse qu’il se retrouvât dans un cabinet médical. C’est ce qu’il se disait en pénétrant dans la salle d’attente. La journée commençait comme une bonne blague.
La pièce était vide. Bizarre, songea-t-il. Ce silence… Il lui sembla qu’il entrait dans une église. Il eut un flash : une église en Italie qu’il avait visitée des années auparavant, dans laquelle une très belle femme, à genoux, priait.
Une fois assis, il balança son pied sur le rythme de Gare au gorille, la chanson de Brassens. La sensation de recueillement le quitta. À sa place, vint l’ennui.
Le mois dernier il avait accompagné les gosses chez le dentiste. La salle d’attente était pleine de mioches remuants. Paul n’arrêtait pas de fourrer ses doigts dans sa bouche pour tripoter la dent qui lui faisait mal. Mathilde elle, avait déchiré avec beaucoup de sérieux toutes les couvertures des magazines. Il avait répondu à Julia qui le harcelait de textos. Elle voulait savoir minute par minute où ils en étaient. Puis il avait consacré le reste de son temps à la page Facebook de Sandra, une ex à lui. Ils étaient sortis ensemble dans la vingtaine. Peu de temps d’ailleurs. C’est elle qui l’avait largué. Une fille très classe, belle comme un mannequin.
Ces gosses, quand même, il se dit en repensant à l’épisode du dentiste. Julia et moi on a pondu de sacrés numéros !
Il se revit le jour où Mathilde était née, dans le couloir de l’hôpital, à faire les cent pas au milieu des infirmiers qui passaient sans arrêt avec des chariots, et ensuite, quand il était entré dans la chambre, il était sur le seuil et il avait senti que tout était en train de changer.
Il eut envie d’offrir des fleurs à Julia. En chemin, il avait vu un fleuriste. En sortant du cabinet, il irait voir s’ils n’avaient pas des roses rouges. Les préférées de Julia.
Il regarda son poignet, là où se trouvait sa montre. Elle n’y était pas. La fille de l’accueil, une blonde avec des lunettes, la lui avait prise tout à l’heure. Ainsi que toutes ses affaires.
— C’est la nouvelle procédure, monsieur Bergeret, elle avait dit avec un sourire entendu. Vous savez bien.
Il s’était forcé à sourire en retour. Pourtant, la secrétaire était plutôt agréable à regarder, avec sa blouse blanche moulante. Elle avait un joli visage mais ses yeux, derrière ses lunettes, étaient ronds et vitreux comme ceux d’un poisson mort. Elle lui avait tendu un sachet en plastique. Le même type de sachet qu’utilisaient les flics, dans les séries télé, pour conserver des pièces à conviction. Il y avait rangé sa montre, son portefeuille, sa convocation, son alliance, tout ce que contenaient les poches de son jeans (ses clefs, deux ou trois pièces de dix centimes, un vieux ticket de cinéma, un bout de ficelle, un chewing-gum écrasé) et bien sûr, son téléphone portable.
Pourquoi s’était-il laissé déposséder sans rien dire ? Il n’était pas du genre à se laisser faire. Le mois dernier, quand le patron avait magouillé pour ne pas leur payer leurs heures supplémentaires, il n’avait pas hésité à taper du poing sur la table.
Il se gratta le poignet, à l’endroit où le bracelet de sa montre avait laissé une trace. Il avait eu peur de passer pour un idiot. Il avait arrêté l’école à seize ans.
Un bruit.
Il se leva.
Son tour était arrivé. Il essuya la paume de ses mains sur son jeans.
Prochain épisode dans notre édition du 17 janvier
Passionnée par la littérature depuis toujours, Romane González l’enseigne aux lycéens tout en rédigeant une thèse sur le roman noir, son genre de prédilection. Élevée dans une famille de médecin et d’infirmières, elle met souvent en scène dans ses nouvelles des personnages de docteur… ou leurs patients.

Article précédent
# 5 Une salle d’attente où l’on n’attend rien
Article suivant
# 6 : « Je peux m’en aller ? »
# 4 Le petit boîtier noir
# 2 Un genre de visite médicale
# 3 Docteur P.
# 5 Une salle d’attente où l’on n’attend rien
# 1 La nouvelle procédure
# 6 : « Je peux m’en aller ? »
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série