Quelle blague ! Tout ça, c’était faux, pas vrai ? Le boîtier noir… la soi-disant caméra. Trop longtemps, il s’était illusionné. Il lui fallait voir les choses en face, maintenant. Il n’y avait pas de caméra. Et pire… il n’y avait pas de docteur P., pas vrai ?
Rien. Il n’y avait rien. À l’image de la poubelle vide. Des murs vides. Des yeux vides de la secrétaire. Du vide qu’il ressentait à présent dans sa poitrine. La masse qui l’empêchait de respirer avait disparu. À sa place : du vide.
Une salle d’attente où l’on n’attend rien. Rien dans les bureaux. Une farce. Une mise en scène.
Comme dans cette pièce de Shakespeare à laquelle Julia l’avait traîné le mois dernier, sur les conseils du foutu prof de philo. Hamlet. Une pièce de théâtre qui révélait la vérité. Crue. Laide.
« Olivier Bergeret », il murmura. « Olivier Bergeret ». Il lui fallait dire son prénom, il avait peur de l’oublier ou de disparaître. Il était léger, pareil à ces ballons pour enfants remplis d’hélium qui s’envolent si on les lâche. Il essayait de rassembler des morceaux de lui, pour peser, mais ça aurait été plus facile s’il avait eu des objets avec lui, son portefeuille, sa carte d’identité ou son permis, avec son nom, sa photo, son adresse. Coincé dans cette salle, il n’avait que des souvenirs. Des images.
Une petite voiture dans laquelle son père le poussait. Une main – celle de son père ou de sa mère – qu’il lâche. Une sensation, un soir d’été, en regardant les étoiles, que le monde lui appartenait. Un morceau de violon répété dans sa chambre. Il butait toujours sur la même note. Des vignettes de foot qu’il conservait précieusement et collait dans un album.
Son arrière-grand-mère, la grand-mère de son père, qu’ils allaient voir à Nice. Sa peau fripée, son visage sévère et les photos d’elle petite avec ses frères et sœurs dans le couloir.
Lucie, dont il avait été amoureux. Ils se retrouvaient sous un cerisier.
Les lasagnes de sa mère.
La salle d’attente du cabinet de son père, dans laquelle il n’avait pas le droit de jouer. Les vieux sièges en skaï vert.
Des choses, dans sa tête, que personne ne verrait. Qu’il emporterait, après. Bientôt.
Comme toutes celles que son père avait emportées : son enfance là-bas, en Algérie. L’entreprise de machines agricoles tenue par ses parents, Radah, la nourrice, le retour en France, les études de médecine à Toulouse, l’ascension sociale, la fierté d’être accepté dans la famille des médecins, et aussi toutes ces histoires qu’Olivier n’avait jamais voulu écouter : le premier gaz du sang réussi, le stage en maternité, la jeune fille de dix-sept ans sauvée d’une méningite.
Et au milieu de tout ça, le fils unique. Le fils qui déçoit.
Olivier se recroquevilla sur son siège. Pas de corps. Son père l’avait compris avant lui. Il n’y avait rien.
Il se rendit compte qu’il était par terre, à présent. Il avait dû glisser de sa chaise.
Il se sentait abandonné. Par son père qui était mort après avoir posé sa main sur son épaule. Par sa femme qui lui préférait un abruti vaniteux. Par ses enfants qui, dans quelques années, le traiteraient de vieux con et lui tourneraient le dos. Par cette force qu’il ressentait, gamin, cet espoir que pour lui, ce serait différent.
Prochain épisode dans notre édition du 14 février
Passionnée par la littérature depuis toujours, Romane González l’enseigne aux lycéens tout en rédigeant une thèse sur le roman noir, son genre de prédilection. Élevée dans une famille de médecin et d’infirmières, elle met souvent en scène dans ses nouvelles des personnages de docteur… ou leurs patients.

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# 3 Docteur P.
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# 4 Le petit boîtier noir
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# 3 Docteur P.
# 5 Une salle d’attente où l’on n’attend rien
# 1 La nouvelle procédure
# 6 : « Je peux m’en aller ? »
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