Il faillit monter sur une chaise pour regarder de plus près mais il n’osa pas. Qu’est-ce que c’était, ce petit boîtier noir, posé au-dessus de l’horloge ? Une caméra ?
Il y en avait dans les supermarchés… mais chez un médecin ? Que voulait-il vérifier ? Que personne ne faisait un malaise dans la salle d’attente ?
Il l’imaginait, le docteur P., dans son bureau, assis devant son écran d’ordinateur. Il le regardait, lui, Olivier Bergeret, s’agiter dans la toute petite pièce. Qu’est-ce que ça lui faisait, au docteur, tous les petits problèmes d’Olivier ? C’étaient les mêmes que ceux des autres, docteur je ne dors plus la nuit, docteur je n’arrive plus à avoir une érection, docteur, depuis que mon père est mort je sens comme une boule, là, au milieu du ventre et ça remonte.
Il se rapprocha de la porte d’entrée. Il voulut l’ouvrir, aller demander des comptes à la secrétaire. Les affaires confisquées, la caméra… c’était trop.
Il ferma les yeux. Vit la robe noire de Julia. Celle qu’elle avait sortie de la penderie le matin même. Elle l’avait étalée sur le lit. Il avait eu la vision du corps de Julia allongée nue sur ce lit, à la place de la robe. C’était la robe qu’elle allait porter pour le repas chez les Gaspard. Il les détestait. Surtout le mari, un prof de philo qui croyait tout savoir. Il voyait la façon qu’avait Julia de le regarder. Lui, elle ne l’avait jamais regardé comme ça. Ils n’avaient pas fait l’amour depuis six ou sept mois. Les roses rouges n’y changeraient rien. Au fond, il savait qu’ils avaient un problème.
L’autre le verrait, forcément. Quand ils seraient face à face, dans son bureau, ce serait impossible à cacher. Mais peut-être le voyait-il déjà, à travers la caméra. Il porta les mains à son visage. Il se toucha le front, les joues, comme si quelque chose était peint là. Un signe, mystérieux pour le profane, et qui révélerait à l’œil averti toute la vérité sur Olivier Bergeret.
Il regarda à nouveau le boîtier. Il envisageait les choses sous un autre angle. C’était rassurant. Savoir que le docteur P. était là, à veiller sur vous. Savoir qu’avec lui, on ne pourrait pas tricher. Il vous voyait. Vraiment. Comme s’il observait au microscope des choses invisibles à l’œil nu.
Il revit une scène, aux dernières vacances d’été, avant la mort de son père. Dans la chambre, la porte fermée, il s’était disputé, longtemps, avec Julia. Il était parti prendre l’air sur le balcon. Au milieu des maillots et des serviettes de plage qui séchaient. Il avait eu envie d’une cigarette. Lui qui n’avait jamais fumé. Seulement une fois ou deux pour essayer, adolescent. Il était tard mais au loin, sur la jetée, il y avait encore des promeneurs attardés. Un couple s’embrassait. Il les avait détestés de faire ça en public. Puis il avait remarqué, à sa gauche, le rougeoiement. Et compris que ça sentait vraiment le tabac. Il avait découvert son père, assis dans un fauteuil d’extérieur. En train de fumer. Il l’observait.
— Tu fumes, encore ? il avait dit.
L’autre avait haussé les épaules et lui avait tendu le paquet ouvert. Olivier en avait pris une. Son père lui avait passé un briquet. Ils ne s’étaient pas parlé. En silence, ils avaient fumé leur cigarette ensemble. Puis son père avait posé sa main sur son épaule, quelques secondes à peine, ils ne se touchaient jamais d’ordinaire, et était parti se coucher. Olivier avait gardé, longtemps, la sensation de cette main qui pesait sur son épaule.
Il imagina que la porte s’ouvrait enfin sur le Docteur P. et qu’il découvrait que le docteur P. était son père.
Prochain épisode dans notre édition du 7 février
Passionnée par la littérature depuis toujours, Romane González l’enseigne aux lycéens tout en rédigeant une thèse sur le roman noir, son genre de prédilection. Élevée dans une famille de médecin et d’infirmières, elle met souvent en scène dans ses nouvelles des personnages de docteur… ou leurs patients.

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# 2 Un genre de visite médicale
# 4 Le petit boîtier noir
# 2 Un genre de visite médicale
# 3 Docteur P.
# 5 Une salle d’attente où l’on n’attend rien
# 1 La nouvelle procédure
# 6 : « Je peux m’en aller ? »
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