La porte s’ouvrit. Celle qui donnait sur le bureau de la secrétaire. Sur l’extérieur.
- Monsieur Bergeret…
La voix lui parvint, lointaine, venue d’une autre époque. Il avait l’impression de ne jamais avoir entendu quelqu’un parler avant. Une femme blonde se tenait sur le seuil, elle l’invitait à la suivre. Elle n’avait pas l’air surprise de le trouver dans cette position. Il ne bougea pas.
- Vous pouvez venir, précisa-t-elle.
Il se releva. Ses genoux craquèrent. Il regarda autour de lui. Il ne savait pas très bien où il était. Les sièges, les murs nus. La femme… Ah oui, la secrétaire. Il épousseta ses vêtements, la suivit. Se sentit mieux en passant dans l’autre pièce. Les murs de l’accueil étaient en verre et on apercevait la rue, avec ses promeneurs, ses arbres, ses voitures.
- Mais… Et le rendez-vous ? il demanda.
- Oui, tout s’est très bien passé, ne vous inquiétez pas. Le docteur vous remercie. Vous pouvez rentrer chez vous.
Il pensa au docteur P. L’avait-il vu ? Il ne savait plus. Il croyait se rappeler d’un homme jovial, assez âgé. Ils avaient parlé voiture ensemble : le docteur avait des problèmes avec le moteur de sa Peugeot, un vieux modèle et Olivier lui avait donné des conseils. En partant, le docteur avait posé une main sur son épaule. De cela, il s’en souvenait distinctement : cette main, rassurante, sur son épaule. Le reste était flou.
La secrétaire sortit le sachet en plastique du tiroir de son bureau. Avant de le lui rendre, elle l’ouvrit, en extirpa un papier plié en deux sur lequel, de là où il était, il pouvait lire son nom et ces quelques mots : Nous vous prions de vous rendre le 12 octobre au… La convocation.
- Vous n’en aurez plus besoin, elle dit, tout sourire.
Il remarqua la grosse machine noire placée à côté d’elle. Elle y introduisit la feuille et avec un bruit semblable à un aspirateur en marche, la machine broya la convocation.
Il se dépêcha de prendre ses autres affaires, sentit la rugosité du ticket de cinéma sous ses doigts. Il palpa les clefs, le chewing-gum, les pièces, le téléphone. Il garda son téléphone à la main. Fourra le reste dans la poche intérieure de sa veste.
- Je peux m’en aller ? il demanda.
Elle hocha la tête. Il se dirigea vers la sortie. Il n’avait qu’une peur : qu’elle le rappelle. Il marchait en titubant. Que s’était-il passé ici ? La convocation aurait pu l’aider à y voir plus clair. Mais elle était détruite, à présent.
Il regarda son téléphone. Trois appels en absence de Julia.
Il poussa la porte d’entrée. Il inspira. L’odeur de l’essence. Le bruit des voitures. Il fut bousculé par deux gosses qui se chamaillaient. Il vit des amoureux sur un banc, un chien lécher un emballage, un camion donnant un coup de klaxon ; la vie quoi.
Il avait cette sensation, d’une main rassurante sur son épaule. Il repensa au bouquet de roses rouges. Il allait l’acheter, finalement.
***
- Docteur, c’est cette nouvelle procédure, dit Eve Rioul en remontant ses lunettes sur son nez. Celle qui est en place depuis que vous avez le scanner. Les patients se comportent de plus en plus bizarrement… ce monsieur Bergeret, je l’ai retrouvé par terre, dans la salle d’attente. Qu’est-ce qui leur passe par la tête ?
Le docteur sourit.
- C’est vieux comme le monde. Le philosophe Pascal l’a bien mieux dit que moi : sans leurs téléphones, leurs écrans, toutes ces diversions, les hommes se retrouvent seuls avec eux-mêmes. Avec plus ou moins de bonheur. À demain, Eve.
Il ramassa sa mallette et sortit. Eve secoua la tête, interrogative. Elle était presque sûre que du temps de Pascal, les téléphones n’existaient pas.
Prochaine histoire courte dans notre édition du 21 février
Passionnée par la littérature depuis toujours, Romane González l’enseigne aux lycéens tout en rédigeant une thèse sur le roman noir, son genre de prédilection. Élevée dans une famille de médecin et d’infirmières, elle met souvent en scène dans ses nouvelles des personnages de docteur… ou leurs patients.

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# 1 La nouvelle procédure
# 4 Le petit boîtier noir
# 2 Un genre de visite médicale
# 3 Docteur P.
# 5 Une salle d’attente où l’on n’attend rien
# 1 La nouvelle procédure
# 6 : « Je peux m’en aller ? »
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